Le jour fatal approchait, la peur devenait de plus en plus grande. Je regardais avec servilit'e le docteur, et, ce personnage myst'erieux, la sage-femme. Ni N…, ni moi, ni notre jeune femme de chambre, nous ne savions ce qu’il fallait faire. Heureusement, une vieille et bonne dame vint, de Moscou, chez nous, et prit d’une main ferme les r^enes du gouvernement. – J’ob'eissais comme un n`egre.
Une fois, au milieu de la nuit, j’entends une voix qui m’appelle, j’ouvre les yeux; la vieille dame, en jaquette de nuit, un foulard sur la t^ete, un bougeoir `a la main, 'etait l`a: m’ordonnant d’envoyer `a l’instant chercher le docteur et la sace-femme. Je mourais de frayeur – comme si c’e^ut 'et'e une surprise, comme si nous n’avions pas parl'e des mois entiers de ce moment! Avec quel bonheur je me serais tourn'e sur l’autre c^ot'e, apr`es avoir pris une dose d’opium pour dormir pendant tout le temps du danger! – Mais il n’y avait rien `a faire. – Je m’habillai tout tremblant; j’envoyai le domestique, et m’'elancai dans la chambre `a coucher de N… – Je lui prenais les mains; j’ennuyais la vieille dame par des questions insipides et je sortais dix fois par minute dans le vestibule pour 'ecouter si on n’entendait pas le bruit d’un 'equipage. – C’'etait une nuit chaude d’'et'e, tout 'etait tranquille et calme; les oiseaux commencaient `a chanter; l’aurore colorait les feuilles des arbres du jardin; j’aspirais l’air fortement et je retournais dans la chambre `a coucher. – Enfin, on entendit une voiture roulant sur le Pont! – Gr^ace `a Dieu! – Ils arrivaient encore `a temps.
A onze heures du matin, je tresaillis comme frapp'e d’un coup 'electrique. Le cri fort d’un nouveau-n'e avait frapp'e mes oreilles. «C’est un garcon!» – criait la vieille dame, tout en larmes elle-m^eme, et me l’apportant sur un coussin. Je voulais le prendre; mais mes mains tremblaient si fort que la vieille dame ne voulut pas me le donner.
Toute id'ee de danger avait disparu (quoique tr`es souvent ce soit alors que le danger commence). Une joie folle s’empara de moi, comme si j’avais un carillon de toutes les cloches, un brouhaha de f^ete `a l’int'erieur. N… me souriait, souriait `a l’enfant, pleurait, riait; et seulement la respiration spasmodique et une p^aleur mortelle rappelaient les souffrances de tout `a l’heure.
Je quittais l’appartement; j’entrai chez moi, et, compl`etement bris'e, je me jetai sur mon canap'e; sans pens'ee d'etermin'ee, sans me rendre compte de ce qui s’'etait pass'e, je restai l`a – dans une souffrance de bonheur.
J’ai vu encore, ailleurs, de jeunes traits exprimant `a la fois cette souffrance et ce bonheur: de jeunes traits o`u la mort et une joie douce et suave planaient ensemble. C’'etait `a Rome, dans la galerie du prince C… Je les ai
J'esus vient de na^itre, on le montre `a la Madone. Bris'ee, fatigu'ee, languissante, sans une goutte de sang dans la figure, elle sourit `a l’enfant et arr^ete sur lui un regard faible qui se fond en amour.
Il faut le dire, la vierge-m`ere ne va pas du tout dans la religion c'elibataire du christianisme. Avec elle, dans l’'eternel enterrement du monde par l’'eglise, dans le dernier jugement et autres horreurs de la th'eodic'ee sacr'ee, p'en`etrent la vie, la douceur, l’amour.
C’est pour cela que le protestantisme ne chassa que la Madone de ses hangars de pi'etisme, de ses fabriques de sermons. Elle confond l’ordre divin de la Trinit'e; elle ne peut pas se d'efaire de la nature terrestre; elle chauffe l’enceinte froide de l’'eglise, et reste, quand-m^eme, femme et m`ere. Par un enfantement naturel, elle se venge de la conception miraculeuse, et elle arrache au moine asc`ete une b'en'ediction – `a son ventre.
Michel Ange et Rafael ont compris tout cela avec leurs pinceaux.
Dans le Dernier Jugement de la Chapelle Sixtine, dans cette Saint-Barth'el'emy au ciel, nous voyons le Fils allant f^eter la vengeance divine. – Il a d'ej`a lev'e une main; `a l’instant il donnera le signal, et les tortures, les martyres, un auto-da-f'e universel commenceront aux sons terribles de la trompette. Mais `a c^ot'e de lui, une femme, sa m`ere, tremblante,
La Madone Sixtine, de son c^ot'e, c’est Mignon de Goethe apr`es ses couches. On l’a effray'ee par un sort sans exemple; elle a perdu la t^ete.