Comme toute aristocrate russe, elle parlait aisément notre langue qu’elle avait apprise de sa gouvernante française. Elle préférait toutefois s’exprimer en allemand si elle était fatiguée, souvenir de ses années d’étude à Berlin sous la direction de Max Saal. C’est ainsi à Maastricht que, pour mon plus grand plaisir, elle m’avait demandé d’assurer la traduction de la conférence qu’elle allait donner pour présenter son important livre intitulé «Histoire de la harpe en Russie et Exercices techniques». A titre de préparation, Vera m’avait expliqué dans le détail sa méthode et les secrets techniques qu’elle disait avoir hérités du 19 siècle. Je retirai de ces heures passionnantes un enrichissement qui m’inspire encore maintenant dans mon travail. Professeur réputé sévère et d’une très grande autorité, elle savait aussi être maternelle et aux petits soins pour ses élèves qui le lui ont bien rendu durant les dernières années de sa vie. Je ne suis pas près d’oublier le merveilleux accueil qu’elle m’avait réservé et orchestré en 1995 lorsque je lui rendais visite avec toute ma famille. Alors malade et craignant beaucoup de nous transmettre son virus, Vera n’avait pu nous loger dans son grand appartement et en était très déçue. L’une de ses proches élèves nous avait accueillis avec beaucoup de faste et, chaque jour, grâce à de longues conversations téléphoniques, Vera nous organisait nos excursions et soirées au Bolshoî. De nouveau, elle m’invitait en 1997 pour un récital et plusieurs Masterclasses et j’eus ainsi le grand bonheur de loger chez elle et de partager son intimité. Très ouverte et d’un savoir immense, Vera Dulova aimait à discuter de sujets aussi variés que la peinture, l’histoire contemporaine et soviétique, ses souvenirs, ses amis Chostakovitch, Prokovieff, Khatchaturian, Kikta, pour nen citer que quelquesuns unes. D’une grande simplicité aussi, elle avait accepté avec enthousiasme de loger chez moi puis dans mon chalet lorsque je l’avais invitée à donner des Masterclasses et concerts à Lausanne en 1992. A cette оссаsion, j’avais été littéralement stupéfaite de l’entendre demander d’une voix gênée, à 23 heures, le soir de son arrivée: «Pourrais-je travailler un peu ce soir? Je n’ai pas fait mes exercices aujourd’hui et le concert approche». Nous étions vendredi et son récital avait lieu le mardi suivant! Une telle conscience professionnelle explique aisément le très haut niveau quelle avait atteint et quelle avait surtout su garder à près de 85 ans.
A évoquer une telle personnalité, les souvenirs se bousculent, Celui qui m’aura peut-être le plus bouleversée se passait par une magnifique fin d’après-midi de juin, alors que, ses cours de Lausanne terminés, nous roulions vers mon chalet en compagnie de mon mari. La vue sur le lac de Genève était absolument superbe et nous nous étions arrêtés pour l’admirer. Vera nous dit alors: «Je suis profondément heureuse d’être ici mais je suis triste aussi». Elle nous parla ensuite de son pays ou il lui était impossible de goûter une telle félicité et de sa datcha en Crimée quelle avait perdue et à laquelle le paysage lui faisait penser. Le même soir, elle préféra rester seule au chalet à contempler le paysage et les évolutions des parapentes et à méditer. Durant ces brefs instants, nous avions pu percevoir quelles souffrances cette merveilleuse femme avait eues à supporter.
Vera Dulova nous a quittés et avec elle disparaît l’une des dernières figures emblématiques du XX siècle. A elle qui osait terminer les lettres qu’elle m’adressait par les mots «Je vous aime», j’aimerais lui dire, avec tous ses amis: «Nous vous avons aimée».
[Дань уважения. Вера Дулова
С большой печалью мы узнали о кончине русской арфистки Веры Дуловой. Международная солистка и великая артистка, солистка Большого театра и профессор Московской государственной консерватории долгие годы.
Международная ассоциация арфы и друзей арфы воздаёт ей должное.
Я только что узнала с большой грустью, что мадам Вера Дулова покинула нас в январе прошлого года, моя привязанность к этой женщине была так же велика, как моё восхищение художником, каким она была.
Это страница, которая переворачивается ещё раз, потому что у меня есть так много воспоминаний о ней и моём отце в Гаржилезе и нашем доме в Париже. Они были очень близки, очень любили музыку и были незаурядными учителями.
Я несколько раз видела Веру Дулову во время своих переездов, и мне посчастливилось посетить Консерваторию Чайковского и послушать её учеников. Потом она отвезла меня домой со своими друзьями. Это был праздник, полный тепла, которым Мадам Дулова засвидетельствовала мне свою привязанность.
Спасибо, дорогая Вера, я Вас никогда не забуду.