La nouvelle république française ne pouvait vivre qu’en s’environnant de républiques. L’indulgence que le général Bonaparte montra au pape lorsque, Rome étant entièrement en son pouvoir, il se contenta du traité de Tolentino et du sacrifice de cent tableaux et de quelques statues, lui fit beaucoup d’ennemis à Paris. Il fut obligé d’exécuter, neuf ans plus tard et avec beaucoup de danger, ce qu’il pouvait faire alors avec six mille nommes. Le duc de Lodi (Melzi), vice-président de la république italienne, homme intègre et qui aima vraiment la liberté, disait que Napoléon conclut la paix de Campo-Formio en opposition directe avec les ordres secrets du Directoire. Il était chimérique de croire à aucune paix solide entre la nouvelle république et les vieilles aristocraties de l’Europe[11].
Chapitre V
Bonaparte et Venise
Vaut-il la peine de rapporter les objections des gens qui se croient délicats et qui ne sont que faibles? Ils disent que le ton avec lequel le général Bonaparte offrit la liberté aux Italiens, était celui de Mahomet prêchant l’Alcoran le sabre à la main. Les convertis étaient loués, protégés, comblés d’avantages; les infidèles livrés sans pitié au pillage, aux exécutions militaires, à tous les fléaux de la guerre. C’est lui reprocher d’avoir employé de la poudre pour faire partir ses canons. On lui objecte la destruction de Venise. Mais fut-ce donc une république qu’il détruisit? C’était un gouvernement inique et avilissant, une aristocratie à chef faible, comme les autres gouvernements de l’Europe sont des aristocraties à chef fort. Ce peuple aimable a été choqué dans ses habitudes; mais la génération suivante eût été mille fois plus heureuse sous le royaume d’Italie. Il est assez probable que la cession des États de Venise à la maison d’Autriche était un article secret des préliminaires de Leoben, et que les causes qui furent alléguées dans la suite, pour faire la guerre à la République, ne furent que des prétextes[12]. Le général français entra en négociation avec des mécontents, afin de pouvoir occuper la ville sans coup férir. À ses yeux, il était utile à la France d’avoir la paix avec l’Autriche. Il était maître de Venise, puisqu’il la prit. Il n’était pas chargé de faire le bonheur de Venise. La patrie avant tout. Dans tout cela il n’y a qu’un reproche à faire au général Bonaparte: il ne voyait pas les choses aussi haut que le Directoire[13].
Chapitre VI
Bonaparte et le Directoire
On reproche à Napoléon d’avoir corrompu pendant sa campagne d’Italie, non pas la discipline, mais le caractère moral de son armée. Il encouragea parmi ses généraux le pillage le plus scandaleux[14]. Oubliant le désintéressement des armées républicaines, ils furent bientôt aussi rapaces que les commissaires de la Convention. Mme Bonaparte faisait de fréquents voyages à Gênes, et mit, dit-on, en sûreté cinq ou six millions. En cela, Bonaparte fut criminel envers la France. Quant à l’Italie, des pillages cent fois plus révoltants encore n’auraient pas été un prix excessif pour l’immense bienfait de la renaissance de toutes les vertus. C’est un argument des aristocrates que celui des crimes qu’entraîne une révolution. Ils oublient les crimes qui se commettaient en silence avant la Révolution.