Meredith sembla hésiter. À en croire les ragots au sein du personnel, les infirmières de nuit géraient leurs services comme des fiefs personnels. De toute évidence, Meredith n’appréciait guère cette intrusion dans son royaume. « D’accord, docteur Cole, mais cet Orrin Mather est sous protocole spécial et je ne vois rien dans son dossier qui vous désigne comme son médecin référent. Je vois par contre une note du Dr
Congreve comme quoi il vous a retiré le patient il y a deux jours.— Et voyez-vous dans ce dossier de quoi empêcher un médecin de l’établissement et un agent de police d’entrer dans le service ? Parce que je commence à m’impatienter, Meredith. »
L’infirmière les foudroya du regard, mais tendit la main vers l’interrupteur de déverrouillage… avant de suspendre son geste. « On ne peut pas transférer un patient sans l’autorisation du médecin
— Le Dr
Congreve ne va peut-être pas apprécier.— Si vous continuez à nous faire attendre, c’est
Meredith fit une moue contrariée, mais actionna l’interrupteur. « Je vais devoir en parler au Dr
Congreve.— À votre guise », répondit Sandra.
La porte s’ouvrit avec un déclic. Sandra suivit Bose vers la chambre d’Orrin. Dans cet éclairage tamisé, le couloir carrelé de vert semblait long et souterrain. « Bien joué, dit Bose en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule. Mais elle est déjà au téléphone. »
Le problème suivant sauta aux yeux de Sandra dès qu’elle ouvrit la porte d’Orrin avec son passe. Le jeune homme gisait sur le lit, comme si on l’avait lâché là. Sandra le secoua doucement. « Orrin, appela-t-elle. Hé,
Il entrouvrit lentement les yeux. « Quoi ? dit-il à voix basse. Quoi encore ? Quoi encore ? »
On lui avait administré une forte dose de médicaments. « Orrin, c’est moi. Le Dr
Cole. »Il la regarda d’un air groggy. Putain d’équipe de nuit, se dit Sandra. Ils mettent double dose à tout le monde histoire d’avoir la paix, dans ce service ? Ou juste à Orrin ? « Il fait nuit dehors, docteur Cole…
— Je sais, mais il faut vous mettre debout. Levez-vous et venez avec nous, d’accord ?
— Agent Bose », dit Orrin toujours inerte sur le lit, sa blouse d’hôpital relevée sur ses maigres fesses. « Salut.
— Salut, Orrin. Écoute-moi. Le Dr
Cole a raison. Il faut qu’on te sorte d’ici. Qu’on t’emmène voir ta sœur, Ariel. Ça te va ? »Orrin mit quelques secondes à comprendre la question, puis sourit d’un air déséquilibré. « C’est exactement ce que je veux, agent Bose. Merci… mais bon, je suis très fatigué.
— Je sais. » Bose se pencha, l’attrapa par les épaules et l’aida à se lever. Orrin vacilla, mais parvint à garder l’équilibre.
« Ce sera plus facile avec un fauteuil roulant », dit Sandra, qui ressortit – le couloir était toujours vide et Meredith n’avait pas quitté son poste, mais parlait avec animation au téléphone – pour aller chercher dans la réserve un des fauteuils pliants au dossier en cuir marqué TEXAS STATE CARE/ÉTABLISSEMENT DU GRAND HOUSTON au pochoir. Il fit un bruit de ferraille quand elle le poussa dans la chambre d’Orrin, un bruit étonnamment fort dans le silence du service.
Bose aida Orrin à s’installer. Dès qu’il fut assis, le menton du jeune homme retomba sur sa poitrine et ses paupières se refermèrent. Ça vaut peut-être mieux, se dit Sandra. Elle saisit les poignées et suivit Bose vers la sortie.
Mais Meredith bloquait à nouveau la porte… cette fois en compagnie de Jack Geddes.
« Une petite minute, dit-elle. J’ai eu le Dr
Congreve au téléphone et vous n’avez pas le droit de faire sortir ce patient. Vous allez donc ramener M. Mather dans sa chambre et vous pourrez vous expliquer avec la direction demain matin. »Ignorant Meredith, Bose s’adressa directement à Geddes, qui s’était avancé vers lui en bombant le torse. « C’est une affaire de police. J’emmène M. Mather de ma propre autorité.
— Vous n’avez
— Soit vous vous écartez de mon chemin, lança Bose à Geddes, soit je vous arrête pour obstruction, mais décidez-vous, monsieur. C’est une affaire urgente, sans quoi je ne serais pas venu à cette heure-ci. »
Sandra imagina Congreve répondre à Meredith dans sa voiture et faire demi-tour pour revenir au State Care. Depuis combien de temps était-il parti ? Une demi-heure, trois quarts d’heure ? Était-il rentré directement chez lui ou avait-il fait halte en route ? Consulter sa montre trahirait son appréhension, aussi s’en abstint-elle.
Geddes et Bose ne se quittaient pas des yeux, dans une tentative classique d’intimidation mutuelle, selon Sandra, mais l’aide-soignant finit par soupirer en se tournant vers l’infirmière. « Cet homme vous a montré son insigne ? Ses papiers ?
— Oui, mais…
— Alors je ne peux rien faire, m’dame. »