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Quand Turk m’a dit qu’il avait accepté l’opération, j’ai fait semblant d’être surprise. L’implant avait toujours été un composant essentiel de notre plan. Mais à cause des capteurs cachés du Réseau, j’étais obligée de me sentir trahie, de me disputer avec lui. Je me suis donc disputée. J’ai donc pleuré. Et de manière très convaincante, car avec une sincérité presque totale. Je ne doutais pas du courage de Turk, mais aucun plan n’est infaillible. J’avais terriblement peur de ce que Turk pourrait devenir.

Les emmerdes, ça arrive, comme la première Allison l’avait noté dans son journal. On n’a jamais rien écrit de plus juste. Par exemple : le jour où Turk s’est fait poser son implant, et sans doute à peu près au moment où on l’amenait dans la salle d’opérations, Isaac Dvali est venu me voir pour dévoiler mes secrets.


Je savais par les informations qu’Isaac s’était rétabli à une vitesse stupéfiante. Tout le monde à Centre-Vox s’intéressait fébrilement à lui, à présent. Bien davantage que Turk, Isaac était devenu un Enlevé comme les fondateurs de la ville l’avaient imaginé et espéré : un lien vivant avec les Hypothétiques… ce qui signifiait que la transcendance promise de la ville restait au moins plausible. Sans Isaac, Vox n’était rien d’autre qu’une confrérie de fanatiques échouée par sa foi sur une planète morte et mortelle. Avec Isaac, Vox pouvait continuer à se croire une communauté de pionniers aux vues similaires postée à l’avant-garde de la destinée humaine.

Quelques jours seulement après le désastre dans le bassin de Wilkes, Isaac arrivait à parler couramment voxais. Ses fonctions motrices se sont améliorées au point qu’il a pu marcher sans aide, son corps fragile est devenu d’une robustesse remarquable et les portions reconstruites de son crâne ont commencé à sembler presque normales. La créature hurlante et coassante qu’avait connue Turk n’existait plus. Le nouvel Isaac, qui s’exprimait avec une clarté troublante, avait cessé de recevoir des soins, mais continuait à vivre et à passer la nuit dans les pièces où on les lui avait administrés. Il avait récemment mené des entretiens vagues mais flatteurs avec des érudits et des managers, entretiens diffusés publiquement. Il avait félicité Vox pour son dévouement et sa persévérance, et exprimé son admiration pour la sagesse des prophéties fondatrices. Depuis quelques jours, il se promenait comme un touriste dans la ville, parfois assiégé par des enfants curieux dont les parents tout aussi curieux restaient timidement en retrait sans oser ouvrir la bouche.

J’avais suivi tout cela par l’intermédiaire des informations. Vox glissait vers la démence et cette abjecte adoration d’Isaac Dvali n’en était que le dernier symptôme en date. Je me suis dit que ce genre de choses allait continuer. « S’attendre à l’inattendu », avait écrit Allison dans son journal. Un conseil peu original, mais toujours bon.

Et moi qui me croyais bien préparée aux surprises, j’ai été absolument stupéfaite de découvrir Isaac devant ma porte, avec sa pâleur de champignon et ses yeux brillants de petit enfant, en train de sourire et de m’appeler par mon nom : non pas Treya mais, chose incroyable, Allison.


J’avais peur de lui, bien entendu.

Je ne savais pas ce qu’il voulait et l’attention que sa simple présence allait attirer – devait déjà avoir attirée – m’a tout de suite terrorisée. Ses surveillants rôdaient sûrement dans les couloirs et passerelles voisins. Les oreilles et les yeux cachés du Réseau étaient à l’affût.

Mais il a juste dit : « Je peux entrer ? » et j’ai hoché la tête sans un mot avant de laisser la porte coulisser derrière lui.

J’ai trouvé je ne sais où le courage de le prier de s’asseoir.

Il est resté debout. « Je ne fais que passer. » Il me parlait en anglais. Sa langue natale, me suis-je souvenue. Sous toutes les couches de synthèse et de reconstruction, il subsistait au moins un fragment de l’Isaac Dvali qu’il avait été autrefois : un garçon élevé dans le désert d’Équatoria par des gens au désir d’une intensité presque voxaise d’entrer en contact avec les Hypothétiques. Comme moi, comme Turk, c’était quelqu’un de divisé et d’incomplet. Et de très dangereux, au moins potentiellement.

En dehors de sa peau pâle, on remarquait surtout ses yeux. Quand il m’a regardée, ma première réaction a été de tressaillir. Il m’a dit de ne pas avoir peur et j’ai répondu : « Ce n’est pas si facile.

— Vous êtes venue me voir quand j’étais malade.

— Vous vous en souvenez ? »

Il a hoché la tête en souriant. « J’ai appris beaucoup de choses sur vous, depuis.

— Sur moi ?

— Par le Réseau. Je sais qui et ce que vous êtes. Je pense qu’il serait utile que nous discutions. Je ne vous ferai pas de mal. Et je ne parlerai à personne de votre plan d’évasion. »

Je m’entraînais depuis des semaines à rester impénétrable pour arriver à garder ce simple secret. Maintenant que la mascarade ne tenait plus, j’étais trop sidérée pour réagir.

« Personne ne peut nous entendre, a affirmé Isaac.

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