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Geddes s’écarta. « Vous avez besoin de ma signature ? demanda Bose avec un calme surnaturel à Meredith.

— Si vous tenez absolument à l’emmener, il faut que vous signiez. » L’infirmière poussa une écritoire à pince vers lui. « En bas. Vous aussi, docteur Cole. Ça va barder, quand le Dr Congreve arrivera. Ça vous retombera dessus, c’est tout ce que je peux dire. »

Bose signa. Sandra l’imita, un peu tremblante, puis poussa Orrin à vive allure dans le couloir en suivant les longues enjambées de Bose. Par miracle, Orrin s’était rendormi. Elle entendait son léger ronflement rauque malgré le vacarme des roues.

Dès qu’ils sortirent sur le parking, la sueur se mit à fourmiller sur le visage de Sandra. Un récif de nuages avait masqué toutes les étoiles.

« Le papier que tu leur as donné, demanda Sandra, il était valable ?

— Pas vraiment. C’est un formulaire standard. J’ai juste rempli quelques cases.

— Ce n’est pas complètement légal, pas vrai ? »

Il sourit. « Encore un pont de brûlé.

— Leur nombre diminue à toute vitesse. »

Elle jeta un dernier coup d’œil au State Care. On ne la laisserait plus jamais entrer dans ce bâtiment. Elle était au chômage, elle était libre, et elle avait si peur qu’elle voulait rire tout haut.


Ils prirent la direction du motel d’Ariel Mather. Orrin dormait sur la banquette arrière, le corps retenu par la ceinture de sécurité, sa blouse d’hôpital autour des cuisses. « Il faut lui trouver des vêtements, dit Sandra.

— Ariel lui en a apporté de Raleigh au cas où, je crois. »

Une voiture les croisa qui fonçait dans la direction opposée.

Peut-être celle de Congreve, songea Sandra, mais elle ne pouvait pas en être sûre. Elle imagina durant quelques instants une scène délicieuse : Congreve apprenant de Jack Geddes ou de l’infirmière ce qui s’était passé.

« J’ai aussi pris ses carnets, dit Bose. Orrin sera content de les récupérer.

— J’ai lu ce que tu m’as envoyé. Mais il en reste encore, non ?

— Si, un peu.

— Tu veux savoir ce que j’en pense ? »

Il la regarda d’un air curieux. « Tout ce que tu as à dire m’intéresse.

— Tu pensais à un moment que le document constituait une sorte de preuve.

— Ouais. Mais tu n’as peut-être pas encore lu ces passages-là.

— Sauf que ce n’est pas la question, si ? L’important est plutôt de savoir la part de vérité dans tout ça. »

Il rit, mais elle le vit serrer plus fort le volant. « Allons, Sandra… la part de vérité ?

— Tu vois ce que je veux dire.

— Tu penses vraiment qu’Orrin est en communication avec des esprits de l’année 12 000 ?

— Je suis prête à parier que tu y as pensé. Il y a des détails corroborants, là-dedans, des pistes que tu as pu creuser. Que même moi, j’ai pu creuser. Allison Pearl, par exemple : naissance et enfance à Champlain, État de New York. Il faudrait manquer de curiosité pour ne pas se demander si elle existe vraiment. Et tu n’en manques pas.

— Je vais prendre ça comme un compliment.

— Il se trouve qu’il n’y a pas d’Allison Pearl dans l’annuaire de Champlain. »

Il ne souriait plus. « Tu as vérifié ?

— Il ne contient que trois ou quatre Pearl. Aucune Allison, mais un couple dont la fille porte ce nom.

— Tu les as appelés ?

— Oui.

— Ils t’ont dit que je les avais appelés aussi ?

— Oui, mais merci de le mentionner.

— Parce que Orrin, ou l’auteur de ce document, n’a peut-être pas choisi ces noms au hasard… Turk Findley, Allison Pearl. J’ai demandé à Mme Pearl si elle connaissait Orrin ou Ariel Mather, ou quelqu’un qui correspondrait à leur description. »

Cette question-là n’était pas venue à l’esprit de Sandra. « Et alors ?

— Non. Elle n’a jamais entendu parler d’eux. Ce qui n’exclut pas un lien. Orrin aurait pu tomber sur le nom Allison Pearl quelque part, peut-être par un voisin qui se trouve être un parent éloigné… je n’en sais rien. Ou alors, c’est juste une coïncidence.

— Ça te semble probable ?

— Par rapport à quoi ? À Orrin qui se balade dans le temps ? Pour ce que j’en sais, son seul voyage a été de prendre un car de la Greyhound entre Raleigh et Houston.

— On n’en saura jamais rien, donc ? »

Il haussa les épaules.

18

Récit d’Allison

1

Dans les semaines qui ont suivi la rencontre entre Vox et les machines des Hypothétiques, je me suis souvent surprise à répéter doucement mon nom – Allison Pearl, Allison Pearl –, en m’arrimant aux syllabes, à leurs sonorités, à leurs sensations dans ma gorge et sur ma langue.

En tant qu’Allison, j’avais lu un jour un livre sur le cerveau humain. J’y avais appris l’expression « plasticité neuronale », qui désigne la capacité du cerveau à se reconfigurer en fonction des modifications de son environnement. C’est elle qui me rendait possible d’être Allison Pearl. Et qui rendait possible de connecter un cerveau vivant à un implant limbique. Le cerveau s’adapte : il est là pour ça.

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