quelle histoire pauvre Intissar Marwan lui met son arme dans la main, son fantôme la sauve, il y a des amours qui résistent à la mort, des promesses, surtout dans les livres, dans les livres et les pièces de théâtre, les Palestiniens vont s’éparpiller dans la Méditerranée, qui à Tunis, qui à Alger, qui en Syrie, Arafat le gris tentera de revenir au Liban à Tripoli en 1984 avec ses combattants avant que les Syriens ne le renvoient à la mer d’un bon coup de pied au derrière, comme on le ferait avec un vieux chien, pauvre Intissar, Ahmad pauvre type victime de son désir et de sa violence, victime qui fait des victimes, comme nous autres en Bosnie, comme les Achéens aux belles cnémides, ceux qui saccageront Troie tueront les enfants et emmèneront les femmes en esclavage, moi je n’ai sauvé personne, ni en laissant traîner mon flingue par terre ni en ressuscitant d’entre les morts, personne, ni Andi ni Vlaho, et personne ne m’a sauvé, ni Marianne ni Stéphanie ni Sashka la blonde, je me demande si Rafaël Kahla me ressemble, pourquoi écrit-il ces histoires terrifiantes, a-t-il essayé d’étrangler sa femme comme Lowry, ou l’a-t-il assassinée comme Burroughs, incita-t-il à la haine et au meurtre comme Brasillach ou Pound, peut-être est-ce une victime comme Choukri le misérable, ou un homme trois fois vaincu comme Cervantès — qui lavera mon corps une fois mort, elle est bien triste cette histoire, bien triste, une ville qui tombe, qui s’effondre, une ville se brise comme du verre entre les mains de ceux qui croient la défendre, Barcelone en 1939 Beyrouth en 1982 Alger en 1992 Sarajevo en 1993 et tant d’autres, tant d’autres avec les masses de combattants promis à la mort ou à l’exil, comme Intissar, seule avec Abou Nasser, Intissar l’innocente qui croit payer une faute qu’elle n’a pas commise, il me reste encore deux récits de ce Rafaël Kahla, d’autres histoires de guerre, parfois on tombe sur des livres qui nous ressemblent, ils nous ouvrent la poitrine du menton au nombril, nous mettent par terre, j’aimerais avoir la noblesse de Marwan, est-ce encore possible, réfléchissons Yvan qu’est-ce que nous allons faire à Rome à part prendre une cuite magistrale un bain et nous offrir un costume neuf, sombre et luxueux, comment devenir Marwan, demain matin, une fois récupéré l’argent et enterrés les morts de la mallette dans les archives du Vatican, qu’est-ce que je vais faire avec la pièce d’or de Charon le transbordeur, comment employer l’obole mortelle sur chaque œil de mes cadavres, Cocteau disait d’Ezra Pound le vieux fou qu’il était “le rameur sur le fleuve des morts”, me voilà dans la même situation ou presque, Ezra Pound a une belle sépulture à San Michele le cimetière marin de Venise, l’îlot brumeux au large des Fondamente Nuove où s’entassent les célébrités, une tombe de verdure avec une plaque minuscule à l’ombre des cyprès pour le prédicateur fasciste de Radio Roma, obsédé par l’argent des juifs, jusqu’à la folie, bien sûr à Venise je n’avais aucune idée des