Sashka, peintre de l’âme tel saint Luc, Sashka distante, Sashka ange blond de Jérusalem n’est pas de ce monde, Nathan Strasberg agent maussade me racontait qu’à Jérusalem on trouve toujours une énergie mystique, un souffle, qu’on soit juif, chrétien ou musulman, dans les dorures l’encens et les souvenirs de ce cœur transpercé du monothéisme intransigeant, Intissar la combattante palestinienne si elle existe est peut-être en Palestine aujourd’hui, maintenant, auprès du tombeau d’Arafat le pâle, le père de la nation palestinienne, auquel on pardonnait tout, même ses millions de dollars, même sa femme, même ses innombrables erreurs politiques et militaires, parce que c’était le Père, mort mystérieusement dans des circonstances presque soviétiques de secret et de mensonge, poussé dans les escaliers par ses enfants, car les temps changent, les fils souhaitent le pouvoir à leur tour, le pouvoir et l’argent, l’argent surtout, Arafat Abou Ammar le brave envoyé dans l’Hadès par le zèle de ses lieutenants, par l’histoire féroce, Nathan était content et triste à la fois de perdre un tel ennemi, content que le temps ait réussi ce que le Mossad avait manqué si souvent, mais triste aussi, triste, car Arafat, disait-il, on le connaissait bien, après tout, on l’avait enfermé comme un singe au zoo, aujourd’hui tout va être plus difficile, plus violent, les monticules d’ordures de Gaza s’enflamment, les pneus, les roquettes, Gaza le fond du fond de la Zone le seul endroit de Méditerranée où vous ne trouverez pas un seul touriste sur les immenses plages jonchées de barbelés rouillés de bouteilles en plastique de tristesse de misère Gaza l’insensée poursuit sa route vers la fin du monde dans la haine et les cris de vengeance, abandonnée, et les seuls réconforts qui y parviennent sont les quelques missiles que des aviateurs distraits lancent de temps en temps depuis le ciel toujours bleu sur une voiture le parvis d’une mosquée une maison une rue à Rafah à Khan Younis à Gaza tout est si dense qu’il est impossible de viser disait Nathan en soupirant, les victimes civiles étaient la croix et la bannière de l’armée israélienne, poursuivie par des fantômes d’enfants morts, malgré ses beaux chars mats ses aéroplanes ses troupes d’élite, qu’est-ce que vous voulez y faire, il faut bien se défendre se venger se battre contre nos ennemis c’est comme ça, Gaza immense réserve indienne sans alcool où un million et demi de Palestiniens attendent, attendent un travail un gouvernement un pays dans cette capitale de tristesse à la dérive, terre gaste sans maître, la seule friche de la Méditerranée, clapier sans propriétaire où la population est nourrie par un judas vite ouvert dans un mur — j’ai vu à Paris dans une exposition où m’avait traîné Stéphanie une installation d’un artiste nommé Hugo Orlandini, la réplique d’une des cages de détention de Guantánamo grandeur nature, un parallélépipède de grillage avec une couchette un chiotte à la turque en acier brillant un pyjama orange fluorescent bien plié sur le matelas des pantoufles un joli sac en tissu noir pour la tête, voici donc où finissaient les types que nous avions donnés à la CIA, les Etats-Unis d’Amérique se vengeaient en suppliciant lentement et scientifiquement tous ceux qui leur tombaient dans les pattes, des charters de suspects décollaient d’Egypte de Grèce d’Israël d’Espagne du Pakistan de France d’Angleterre pour peupler ces aquariums de métal dans la zone de non-droit à l’Est de Cuba île de l’espoir communiste du rhum et de la salsa, prisonniers de guerre sans guerre sans avocat et sans noms, musulmans suspects à qui on faisait avouer n’importe quoi en les passant à la baignoire en les laissant pourrir sous le soleil en les privant de sommeil de nourriture roués de coups par un personnel qui s’amusait grandement de ces insectes orange et faméliques, la cage d’Hugo Orlandini crachait de la musique, cette musique que les humiliés de Guantánamo supportaient à longueur de nuit dans leur cagibi, musicothérapie, une éternelle chansonnette sortait du trou brillant des gogues, une voix d’outre-tombe leur psalmodiait