Le cri de Lœllo s’acheva en un râle étranglé. Quelque chose de dur, la pointe d’une botte, percuta la colonne vertébrale d’Abzalon. Sa vue se brouilla, ses jambes fléchirent, il perdit l’équilibre, s’affaissa de tout son poids sur le dos. Il voulut se redresser lorsqu’il vit deux silhouettes converger vers lui, mais la blessure à son flanc se conjugua à l’engourdissement de ses centres nerveux pour le maintenir cloué au sol. Les lames de leurs poignards scintillèrent, dessinèrent des cercles étincelants et mobiles sur les pierres noires des murs. Animé par un nouveau sursaut de révolte, il ne réussit pas à coordonner son esprit et son corps. Un peu plus loin, un gémissement déchirant s’élevait dans le silence funèbre, s’envolait comme un insaisissable oiseau vers les étoiles embrumées. Il allait perdre la vie, le seul bien qu’il eût jamais possédé, une perspective qui l’emplissait à la fois de tristesse et de colère. Son existence n’avait pas été marquée du sceau du bonheur tel que l’entendaient les mentalistes et les Astafériens, mais il avait aimé respirer, parler, marcher, manger, dormir, il avait aimé les levers de Vox et de l’A sur les toits plats de Vrana, les vents brûlants venus de l’océan bouillant, les tempêtes de glace des deux cycles d’hiver, le plomb fondu du ciel au plus fort de l’été, la sieste dans l’ombre étouffante des planques. Même si l’Astafer prédisait les pires châtiments aux meurtriers de son espèce, il ne regrettait pas ses crimes. Ils lui avaient procuré des frissons extatiques que rien d’autre n’était en mesure de lui proposer. Il ne connaissait pas d’autre méthode pour stimuler ses sentiments, ses émotions, ses sensations.
Lœllo ne viendrait pas à son secours : il gisait à quelques pas de là, inconscient, probablement assommé par le manche que brandissait l’un des hommes de Fonch.
« Achevez-le ! »
Le quartre s’était aventuré hors de sa cachette comme ces charognards avides de prélever leur pitance une fois que les prédateurs ont accompli la plus grosse part du travail. Un rayon de Xion sculptait les angles et les arêtes de sa face barrée par une longue mèche, son nez cassé, ses arcades saillantes, ses joues creuses, son menton carré. Abzalon tenta une dernière fois de ranimer sa volonté défaillante. Ses efforts ne réussirent qu’à accentuer la douleur à son flanc. À la fois puissant et précis, le coup porté à sa colonne vertébrale l’avait rendu aussi faible qu’un nouveau-né. Il se souvint tout à coup qu’il avait été un enfant, un petit être fragile qu’une mère avait tenu dans ses bras avant de l’abandonner sur le parvis d’un temple astaférien, et il eut envie de pleurer.
« L’eau bouillante d’un puits te bouffera l’intérieur aussi sûrement que t’as étripé toutes ces putes, Ab », lâcha Fonch en guise d’épitaphe.
Ses deux hommes levèrent leur poignard dans le même mouvement. À cet instant, une secousse brève, rageuse, ébranla le sol.
CHAPITRE II
ELLULA