Abzalon se souvint que l’expulsion dans l’espace de la partie la plus volumineuse de
« La séparation a provoqué de gros dommages dans la structure, reprit Laed. Les robots ont rafistolé les couches extérieures du fuselage, mais je ne sais pas, ni l’analyseur central d’ailleurs, si elles résisteront au réchauffement généré par l’entrée en atmosphère.
— Ça veut dire quoi ? demanda Chara.
— Que nous risquons d’être réduits en cendres avant l’atterrissage.
— Pas la peine de nous demander de venir si c’était pour nous annoncer ce genre de choses ! maugréa Lulla.
— Je ne me suis pas beaucoup occupé de vous, mais j’ai besoin de vous, de votre présence, déclara Laed.
— On n’y connaît rien ! protesta Abza.
— Je vous demande simplement d’être là, à mes côtés.
— Tu veux qu’on admire ? siffla Lulla.
— Je ne veux rien du tout. Je sais seulement qu’avec ma famille autour de moi je serai plus serein, plus efficace. »
Chara se rapprocha de Laed et l’enlaça longuement.
« J’ai longtemps maudit cet endroit qui m’avait volé mon mari mais, quoi qu’il arrive, je resterai à tes côtés. »
Abza se mêla à leur étreinte puis, après une hésitation, Lulla vint à son tour se jeter dans les bras de son père.
Ellula fut soudain aspirée par l’œil brillant du nouveau monde. Elle se vit marcher dans une herbe jaune, parfumée, gravir le sommet d’une colline, s’y étendre, contempler le ciel dont le bleu tournait par endroits au mauve. Des nuages roses le parcouraient lentement, poussés par une brise tiède qui colportait des odeurs sucrées. Puis la plaine céleste s’assombrit et elle sut qu’un autre voyage l’attendait. Elle perçut le poids du regard d’Abzalon sur sa nuque. Lui avait cessé depuis longtemps de fixer le nouveau monde pour la contempler. Elle fut heureuse d’avoir brillé pour lui pendant cent ans, elle pouvait désormais s’éteindre, se dissoudre dans le vide. Les images de son passé surgissaient régulièrement à la surface de son esprit : danses au milieu des averses de mauvettes, baignades dans les flaques tièdes et saumâtres, jeux avec les brumes encerclant les rochers, courses folles avec les aros domestiques et les yonaks, sources jaillissantes et fumantes, maison de pierre noire dressée sur le bord d’une falaise. Ses visions et ses souvenirs se confondaient parfois, elle errait entre passé et futur, incapable de prendre pied dans l’un ou l’autre, s’amarrant au présent dans les yeux et le souffle d’Abzalon.
Durant les deux jours qui suivirent, Laed s’efforça de réduire progressivement la vitesse de
Il pilotait par l’intermédiaire de l’écran tactile sur lequel s’affichait régulièrement le protocole de destruction de
Le nouveau monde grandissait à vue d’œil dans le champ de la baie vitrée. On discernait à présent les hachures brunes des reliefs, les taches blanches de masses nuageuses, les flaques bleu-vert des étendues d’eau. Les zones de couleur jaune, les plus importantes, viraient parfois à l’orange ou au mauve selon l’angle des rayons de Jael. À deux reprises la nuit effaça le nouveau monde, le métamorphosa en un trou noir nimbé d’un halo diaphane autour duquel brillaient les croissants argentés des satellites et les lointaines étoiles. Puis Jael réapparaissait, sa lumière ocre, rase, dévoilait la planète, plus proche et plus grande que la veille, révélant quelques-uns de ses mystères, la chaîne montagneuse qui ceinturait de part en part un continent en forme de triangle cerné par deux « océans », le cours sinueux d’un « fleuve », la masse rougeâtre de ce qui semblait être une « forêt ».
« Est-ce qu’on sait où on va atterrir ? demanda Abza.
— Essayons au moins d’éviter l’eau », répondit Laed, les yeux fixés sur l’écran tactile.