— On va certainement passer au-dessus ou à côté de la cuve de refroidissement du réacteur nucléaire. On continue en se tenant très près l’un de l’autre, à se toucher s’il le faut. »
Ils percevaient à nouveau le grondement du moteur, assourdi par le matériau isophonique de la combinaison. Ils attendirent que la fumée se dissipe légèrement avant de franchir le seuil de la porte, Elaïm en tête, Abzalon en deuxième position, le Taiseur fermant la marche. Ils s’avancèrent avec prudence sur une passerelle qui surplombait une immense cuve environnée de vapeur et dont, à la faveur de soudaines éclaircies, ils entrevoyaient la surface bouillonnante.
« L’océan bouillant, à côté, c’est de la tiédasse, murmura le Taiseur. Je suppose que toute cette flotte finit par s’évaporer…
— Elle est récupérée par des capteurs atmosphériques, reconvertie en eau, redistribuée dans les cuves. Des émulseurs PLO se chargent de pallier la déperdition. Je reconnais la patte de l’Invostex dans la conception et la réalisation de ce vaisseau. Nous nous baladons au-dessus d’une cuve annexe destinée à refroidir l’eau de la cuve principale.
— La chaleur du réacteur ne fait pas fondre le métal ?
— La structure entière de ce vaisseau est en milénarium, un alliage qui résiste aux températures extrêmes. Les gisements de ses deux principaux composants, le stafer et l’arium, se trouvent sur le Voxion.
— D’où la guerre d’indépendance : les compagnies minières souhaitaient récupérer pour elles la plus grosse part du gâteau… Le stafer, ça a un rapport avec l’Astafer ? »
Pendant quelques instants, Abzalon oublia sa peur et prêta l’oreille. Il lui paraissait inconcevable que l’Astafer, une religion de légendes, de dragons, de serpents, d’oiseaux, de magiciens, de sorcières, de demi-dieux et de monstres eût un lien quelconque avec un métal. Néanmoins, il devait reconnaître que cet endroit évoquait l’antre d’un dragon, ou encore le chaudron de Balamprad, le géant qui vivait au milieu du bouillant et jetait les navigateurs imprudents dans une cuvette naturelle qui lui servait de marmite.
« Le prospecteur qui découvrit le premier gisement était astaférien. »
La fumée se dispersait au fur et à mesure qu’ils progressaient sur la passerelle. Des faisceaux étincelants jaillissaient d’invisibles projecteurs et cinglaient la surface de l’eau dont les frémissements, se reflétant sur les parois métalliques, composaient des figures oniriques et changeantes. L’extrémité de la passerelle se perdait dans les spirales de brume que les éclats de lumière métamorphosaient en créatures fantomatiques, en « danseurs qui transportent les rêves ».
« Je ne comprends pas en revanche comment ils ont résolu le problème de la gravité, marmonna Elaïm comme s’il s’adressait à lui-même. Dans les navettes estersat, on n’avait pas d’autre solution que de porter ces foutues semelles aimantées. »