Varrus s'est absenté, promettant de venir chercher son ami pour le présenter au capitaine ; plus tard, cependant, Corvinus lui a demandé de reporter cette visite au lendemain, prétextant qu'il prétendait prier et se reposer.
Le jeune homme s'est éloigné en direction de la proue où il entama la conversation avec quelques marins. Il voulut voir le commandant mais Helcius Lucius, en compagnie de Flave Subrius et de deux autres patriciens renommés, échangeait des idées avec eux à une table distante, tout en parlant avec exultation.
II faisait nuit noire maintenant.
Craignant de devoir absorber des boissons fortes, Varrus se tenait dans son coin.
Il s'est alors rendu à la cabine où il était logé pour proposer quelque chose à manger à son vieux compagnon mais Corvlnus semblait dormir tranquillement.
Voyant que Helcius Lucius et ses amis ne cessaient de boire et jouaient bruyamment à quelque distance de là, le jeune patricien est retourné à la proue cherchant un coin solitaire pour laisser libre cours à ses pensées.
Il se sentait assoiffé de méditations et de prières et aspirait à quelques minutes de silence, seul avec lui-même, voulant se rappeler les succès de ces derniers jours.
Il contemplait les eaux que le vent fort et chantant faisait bouillonner, il laissa les rafales rafraîchissantes caresser ses cheveux, se disant que les fluides balsamiques de la nature adouciraient les inquiétudes de son esprit tourmenté.
Fasciné par le calme nocturne, il observait la lune grandissante qui s'élevait dans le ciel et balaya du regard les constellations étincelantes.
Quel mystérieux pouvoir commandait l'existence des hommes ! — se disait-il tristement.
Quelques jours auparavant, il était loin de supposer qu'il allait partir pour l'aventure d'un tel voyage. Il se croyait porté par le courant d'un bonheur domestique assuré, soutenu par le plus grand respect social. Mais se dit que son destin était en franche transformation !... Où devaient être Cintia et Tatien à cette heure ? Pour quelle raison la conduite de sa femme avait- elle ainsi modifié le cours de sa vie ?!... Si le Christ n'avait pas été présent dans son cœur, il n'aurait pas eu de mal à prendre les décisions nécessaires qui le tourmentaient intérieurement, mais il avait découvert l'Évangile et n'ignorait pas le témoignage dont il devait donner la preuve. S'il avait pu l'emporter sur l'influence d'Opilius... Toutefois, il n'était pas légitime de nourrir des illusions. Il avait des parents aisés à Rome qui se chargeraient de soutenir son fils jusqu'à ce qu'il soit en âge d'affronter les surprises du hasard avec des moyens financiers plus solides ; mais dans sa condition d'adepte du christianisme, il ne serait pas juste d'imposer à Cintia le supplice moral dont il se voyait l'objet.
Contemplant la vision de la nuit magnifique, il a prié avec ferveur implorant Jésus de soulager son esprit lacéré.
Des amis prisonniers poursuivis pour leur amour consacré à cette foi sublime lui revenaient en mémoire, s'appuyant sur les exemples d'humilité dont ils étaient un modèle vivant, il suppliait le Bienfaiteur Céleste de l'aider à ne pas tomber dans le désespoir bien inutile.
Combien de temps a-t-il passé ainsi, à réfléchir, seul avec lui-même ?
Varrus n'y pensait pas jusqu'à ce que quelqu'un vienne lui tapoter l'épaule l'arrachant à la douce mélopée du vent.
C'était Subrius qui semblait retenir sa respiration tout en lui disant, contrarié :
Élu des dieux, je crois que le moment est venu de nous comprendre à visage découvert.
Il y avait quelque chose d'étrange dans ces mots dont Varrus chercha la signification en vain.
Son cœur battait très fort dans sa poitrine. La pâle expression de son compagnon habituellement si cynique dénonçait quelque pénible événement, mais il ne se sentait pas suffisamment courageux pour le questionner.
Il y a plusieurs années de cela — a continué le soldat —, ton père m'a fait une faveur que jamais je ne pourrai oublier. Il a sauvé ma vie en Illyrie et je n'ai jamais pu lui revaloir cela. J'ai promis, néanmoins, à mon infâme conscience de payer un jour cette dette et je dois dire qu'aujourd'hui je peux répondre à cet engagement que le temps n'a pas réussi à effacer...
Plongeant ses yeux félins dans le regard torturé du jeune homme, il a continué :