Les mystères de la vie et de la mort martelaient son âme. Finirait-il son existence dans la tombe ? Quelques heures auparavant, il parlait encore à Marcel fasciné par la joie de vivre. Ses mains, qu'il avait observées nerveuses et chaudes, étaient maintenant glacées et inertes. Sa bouche loquace était restée raide. Quelques gouttes de poison avaient éliminé un homme pour toujours ?
Une pénible inquiétude lui effleura l'esprit.
Y aurait-il une justice à la destruction de son prochain sans autre forme de procès ?
Seraient-ils, Hélène et lui, en condition de condamner qui que ce soit ?
Les remords cherchaient à lui ronger l'esprit mais il s'y opposa avec résistance.
Voulant se fuir lui-même, il a marché vers le Tibre concentrant son attention sur les eaux agitées et pendant de longues minutes, il a attendu l'occasion de se défaire de son chargement.
Quand une immense masse de nuages a couvert la lune affaiblie, augmentant les ombres alentours, il s'est levé lestement et découvrant le cadavre l'a précipité dans le courant.
Ensuite, soulagé, il a pris le chemin du retour à la demeure.
Le lendemain, la victime a été trouvée. Mais, dans les coulisses de l'amphithéâtre, là où il avait laissé de nombreux amis, qui ne se souvenait pas que Marcel vivait dominé par le vin et les aventures ? Sa mort a donc été interprétée comme un accident sans grande importance, d'ailleurs sa dépouille a été trouvée à une courte distance de la propriété d'Aprigia dont il était un fervent admirateur de sa jeunesse et de ses attraits.
La nouvelle s'est répandue rapidement, ne tardant pas à arriver au domicile de Veturius où la jeune Lucile a été prise d'un intraduisible chagrin.
Hélène, qui avait imaginé les effets causés par cette annonce, l'a isolée dans une pièce où la jeune femme affligée, désorientée, s'est rendue à une pénible dépression.
Pendant trois jours, soutenue par sa mère et par Anaclette, elle est restée presque inconsciente, frôlant la mort.
Peu à peu, néanmoins, elle a émergé de sa prostration.
La vigueur juvénile a surmonté l'abattement profond.
Bien que triste et désenchantée, Lucile s'est remise à s'alimenter récupérant les couleurs de la santé qui embellissaient son visage.
Percevant de nettes améliorations, la fille de Veturius s'est remise à la tâche voulant mettre graduellement à exécution le plan qu'occultait cet être cruel.
Prétextant le besoin de répondre à diverses sollicitations venant d'amis gaulois, elle a informé Opilius de son souhait de faire quelques visites pour demander des nouvelles de la famille de Jubellius Carpus.
Le vieil homme s'est dit sans illusion.
Il a expliqué qu'il s'agissait d'un ancien propriétaire agricole dont la solide maison se trouvait depuis de nombreuses années sur la voie Pinciana.
Il avait connu Jubellius dans sa jeunesse, mais il l'avait perdu de vue. Il ignorait ce qu'il était devenu et croyait que sa fille devait abandonner de telles recherches.
Toutefois, Hélène était bien trop déterminée pour se décourager. Et prenant une voiture en compagnie de Teodul, elle est allée à sa résidence, conformément aux indications données.
Accueillis poliment, les visiteurs ont été conduits par un jeune homme imberbe dans un énorme salon où le chef de famille leur fit une agréable réception.
L'administrateur de Veturius, prenant la parole, a exposé la raison qui les amenait jusque là. Mêlant cette présentation de questions respectueuses, il s'est reporté à la magnanimité de Jubellius qui s'était transformé en bienfaiteur à l'égard d'un ami.
L'hôte, qui exhibait le visage rougi d'un homme mûr habitué à l'abus de consommation de vin, l'a écouté aimablement et a expliqué :
Je dois dire, avant tout, que mes parents sont décédés voilà plus de dix ans maintenant. Je suis Saturnin, l'aine et l'actuel responsable des affaires de la famille.
Quant au court commentaire de Teodul soulignant la bonté de ses parents, sur un ton sarcastique, il leur fit :
Mes parents ont vraiment été les champions de l'émancipation indue. S'ils avaient été amenés à gouverner, ils auraient appauvri l'Empire romain. D'ailleurs, à plusieurs reprises, ils ont été accusés de nazaréens car la bienveillance chez eux frisait la folie.
Les arrivants ont immédiatement compris à quelle espèce de commerçant ils avaient à
faire.
L'employé d'Opilius a osé une question sur le vieil accordeur de Lyon, ce à quoi Saturnin a souligné empressé :
Selon les registres en notre pouvoir, je sais que Basil, esclave de notre maison, a été dispensé des obligations habituelles moyennant certains engagements comme quelques autres serviteurs dont nous n'avons pas les coordonnés.
Il a affiché un sourire énigmatique et a ajouté :
Nos intérêts ont été vilement explorés. Voilà plus de dix ans que je cherche à corriger de graves erreurs et à arrêter d'aberrantes usurpations.
Exprimant une grande douceur dans sa voix, très calme, Hélène lui dit :