Je suis sûre que nous n'aurons pas de difficulté à trouver un bon accord. Il se trouve que Basil, aujourd'hui très vieux, est notre précieux coopérateur en Gaule lugdunienne. Il nous rend de grands services et notre admirable collaborateur est tellement affligé de ses dettes du passé que nous proposons d'effectuer le transfert de la somme due.
Les yeux de Saturnin se sont soudainement illuminés.
Avec des signes évidents d'avidité et de joie, il a répondu enthousiaste :
Par Jupiter ! L'honnêteté existe encore sur terre ! C'est la première fois que je rencontre un débiteur soucieux de nous aider. — Nous ne nous opposerons pas à cette transaction. Basil sera définitivement libéré.
Il s'est excusé et s'est éloigné quelques instants. Juste après, il apportait la documentation existante.
Les visiteurs n'ont pas marchandé.
Saturnin a ajouté à la somme légale le juste montant des intérêts et Teodul, avec l'assentiment de sa compagne, a tout payé sans hésiter.
En possession des éléments prouvant le paiement, tous deux se sont retirés et, en chemin, Hélène s'est dirigée à son compagnon lui expliquant :
Maintenant, nous tenons la vieille canaille entre nos mains. Lui et sa fille ne nous échapperont pas. Mon plan progresse régulièrement. Avançons dans de nouvelles démarches. J'arrangerai avec mon père ton retour immédiat à la colonie. Tu seras l'émissaire d'une lettre venant de moi pour Tatien, implorant sa venue en urgence à Rome en compagnie de Blandine. Je prendrai pour excuse la maladie de Lucile que tu dépeindras à son imagination comme approchant progressivement de la mort. Je suis convaincue que mon mari répondra à mon appel. Nous calculerons le temps nécessaire pour retourner à Lyon avant qu'il n'ait pu croiser les eaux. En arrivant ici, il ne nous y trouvera plus, j'instruirai mon père afin de justifier notre retour précipité suivant les conseils du médecin, dans une tentative suprême de sauver la malade. Nous nous retrouverons, ainsi à Lyon, suffisamment libres pour entamer le travail punitif. J'obtiendrai quelques lettres importantes pour stimuler la persécution des nazaréens et nous pourrons présenter l'accordeur comme étant un esclave en fuite et un dangereux révolutionnaire. Nous soumettrons le cas aux autorités gouvernementales. Avec la documentation en notre possession, le philosophe et sa fille seront tout naturellement éliminés.
Elle a réfléchi quelques instants, la tête basse, et a conclu :
Ainsi, quand Tatien et Blandine seront de retour à la maison, ils seront surpris par le service déjà achevé.
L'ami, étonné, fut immédiatement d'accord : — Effectivement, le plan est parfait. Hélène s'est tue.
Teodul l'a dévisagée les yeux perplexes sans savoir s'il était envahi par l'admiration ou par la peur.
Quelques minutes plus tard, la voiture s'est garée devant les jardins de Veturius.
La nuit tombait...
Le crépuscule était maculé d'une épaisse brume comme si un brouillard moral enveloppait ces âmes dans l'ombre.
SACRIFICE
A Lyon, la paix était inaltérable.
L'absence d'Hélène durait déjà depuis plus de douze mois alors que Tatien, à son propre étonnement, se sentait bien disposé, heureux.
Des événements significatifs avaient changé la face de l'Empire.
Dèce était mort et le sceptre impérial avait été empoigné par Gallus qui commença par gouverner le monde romain en ordonnant de déplorables spectacles d'inconscience et de débauche. Les conseillers et les magistrats, les guerriers et les hommes politiques semblaient dominés par la décadence morale qui se propageait destructrice.
Une terrible épidémie s'était répandue dans toutes les provinces.
La peste était apparue lors d'une fête à Neocesaria et de oute part on clamait que la terrible maladie était le fruit de la sorcellerie chrétienne.
Profitant de cette occasion, des prêtres des divinités de l'Olympe cherchaient à renforcer la superstition, semant la nouvelle que les dieux flagellaient le peuple en combattant la mystification nazaréenne qui se répandait fatalement.
En raison de cela, des prières collectives étaient faites dans les sanctuaires, jour et nuit. De nombreux temples ouvraient leur porte manifestant leur charité en accueillant les malades et les agonisants.
Des prêtres de Jupiter, de Cybèle et d'Apollon se réunissaient en prières implorant l'assistance et l'aide d'Esculape dont les sacrifices de coqs et de serpents se multipliaient sur les autels recevant les vœux.
Mais avec l'unification des cultes et des croyants autour du dieu de la médecine, la haine du christianisme s'était aggravée.
À nouveau des lapidations et des incendies touchèrent les abris miséricordieux. Les partisans de Jésus, avec plus de rigueur, étaient lapidés, emprisonnés, bannis ou exterminés sans compassion.
Bien que silencieux quant à l'Évangile en hommage à la mémoire de son père, Tatien, qui n'avait jamais changé spirituellement, considérait au fond que le nouveau mouvement de répression était juste.