Ils arrivaient, entourés de servilités par la majorité qui leur prodiguait des cadeaux particuliers en échange de faveurs politiques, commençant par des fêtes spectaculaires et finissant par de déplorables extorsions. Ils faisaient de longues enquêtes sous prétexte d'assainir l'Empire des infiltrations révolutionnaires, gardant néanmoins pour objectif occulte de poursuivre les chrétiens et de les dépouiller de leurs petites ou grandes économies.
Les enfants de l'Évangile étaient, alors, durement éprouvés dans leur foi. Nombreux furent ceux qui, encore attachés à leurs biens matériels, abandonnaient la Bonne Nouvelle, payant des quotas élevés pour leur salut, changeant de domicile. Mais les moins favorisés par la chance ou ceux qui réaffirmaient leur confiance en Jésus se rendaient à la mort ou à la prison, désistant ainsi de tous leurs biens personnels.
Un ambassadeur de cette espèce était donc admirablement doté de larges recours, s'enrichissant de l'argent qu'il recevait pour accuser ou exiler, pour condamner ou faire taire, devenant tout naturellement le centre de la haine et de l'intrigue, de la perversité et de la délation.
Gallus avait choisi ce mode d'action pour aider, sans scrupules, ses camarades de campagne militaire, considérant qu'à Rome les coffres vides n'offraient plus aucune perspective de butin facile.
La société lugdunienne percevait cela et craignant des complications avec l'empereur, accourait en masse afin de louer son représentant.
Plusieurs jours de fête commémoraient son arrivée, et Hélène, qui avait su attirer l'attention de Climène pendant le voyage, fut la première dame de la ville à offrir un riche banquet à l'illustre couple.
Les salons de l'aristocratique résidence se sont ouverts, lumineux, comme par le passé, ayant un vif succès.
Basil, inquiet, n'arrivait pas à s'expliquer les événements en cours.
Pour quelle raison la femme de Tatien avait écrit une lettre qui semblait démentie par les faits ?
Le vieil homme et sa fille en vain ont cherché la clé de l'énigme.
En marge de la villa Veturius depuis que Blandine et son père s'étaient absentés, ils ne se sont pas dérobés aux règles de bienséance et une fois les cérémonies du palais terminées, ils ont essayé de faire une visite respectueuse et cordiale à la maîtresse de maison qui se refusa à les recevoir.
Teodul, un peu déconcerté, a présenté des excuses au nom d'Hélène, les informant qu'il viendrait voir le père et sa fille, le lendemain pour leur parler.
L'accordeur et la jeune femme sont repartis, intrigués, pris d'une inquiétante déception.
Qu'avaient-ils fait pour mériter un tel mépris ?
Entre eux, la mère de Blandine avait toujours été citée comme une personne digne de la plus haute considération. Jamais ils n'avaient offensé son nom, ni même dans leurs pensées.
Pour quelle raison, leur imposait-elle une si incompréhensible hostilité ?
Mais, le matin suivant, le philosophe et sa fille ont été encore plus péniblement surpris.
L'intendant d'Opilius venait à leur rencontre pour exhiber la documentation de la dette achetée, alléguant que les Charles étaient apparentés à la famille de Veturius et qu'Hélène, ayant appris que la petite Blandine prenait des leçons chez l'accordeur, n'a pas hésité à payer l'énorme dette répondant à la demande de ses parents et dont elle exigeait pour autant le remboursement immédiat.
Basil est devenu pâle.
Ceci était une invitation à la servilité ou une annonce de captivité.
À quoi avaient donc servi, en cette heure, les luttes d'une existence aussi longue ? Pourquoi avait-il vécu tant d'années,
Il avait cherché le meilleur moyen de garder son équilibre face au monde et à la vie en écoutant sa conscience et était devenu vieux.
Il avait souffert d'innombrables privations et de nombreuses difficultés dans le parcours de son long pèlerinage sur terre mais aucune aussi angoissante que celle de cette heure où il se présumait porteur de toutes les humiliations.
C'est alors qu'il a tout compris. Cette femme devait haïr leur présence. À Rome, elle avait probablement su que Tatien et sa petite fille s'était pris d'affection pour l'humble foyer et peut-être se considérait-elle flouée dans son affection.
Il a porté sa main droite à son cœur malade alors que des larmes coulaient inlassablement sur ses grosses rides. Livia qui perçut son affliction est accourue pour le soutenir.
Le vieil homme l'a étreinte, en silence, puis avec humilité, il a demandé à Teodul de lui donner un peu de temps.
Il désirait attendre le retour de Tatien pour s'entendre avec lui concernant la question.
L'envoyé d'Hélène, néanmoins, s'est montré inflexible.
Le problème ne pourrait attendre plus d'une semaine. Un certain transporteur retournerait à la métropole impériale, emportant l'argent qu'Opilius Veturius avait déboursé.