Les collaborateurs ont suivi le mouvement menottant tous les autres. Certains membres de la servile expédition ont posé leur regard lascif sur les jeunes femmes tremblantes mais la présence de Vestinus dont les paroles leur avaient jeté tant de vérités à la figure, leur imposait le respect.
Le voyage se fit en silence.
Comme des animaux dociles, les chrétiens n'ont pas réagi, se soutenant en prononçant de ferventes prières, mais alors qu'ils pénétraient dans le patio de la prison, ils se sont regardés angoissés.
Quelque chose se passait conformément à leur attente.
La voix sèche de Numicius a ordonné qu'ils s'arrêtent un moment et Livia, Lucine et Prisca ont été brutalement séparées du groupe.
Il existait une ancienne loi qui interdisait le sacrifice des vierges dans les spectacles et, sous ce prétexte, il était de coutume de séparer les arrivants des femmes les plus jeunes pour que la cruauté des bourreaux vole leur pureté corporelle avant tout interrogatoire plus sévère.
Le vieil accordeur a étreint Livia dont les yeux étaient voilés de larmes qui n'arrivaient pas à couler et lui dit ému :
Adieux, ma fille ! Je crois que nous ne nous verrons plus dans cette vie mortelle. Mais, sache que je t'attendrai dans l'éternité... Si tu t'attardes sur terre, ne te sens pas loin de mes pas. Nous resterons ensemble en esprit... Seule la chair demeure à l'ombre de la tombe... Si tu es offensée, pardonne... Le progrès du monde se fait avec la sueur de ceux qui souffrent, et la justice parmi les hommes est un sanctuaire qui s'élève par la douleur des perdants... Ne te consterne pas, ne te crois pas abandonnée !...
Il a levé les yeux en l'air comme pour lui montrer que le ciel est la dernière patrie qu'il leur restait, et il a conclu :
Un jour, nous serons à nouveau réunis dans un foyer sans larmes et sans mort !...
Un sourire amer est apparu sur son visage.
La jeune femme l'a tendrement embrassé cachant son visage pâle sans prononcer un seul mot. Une insurmontable émotion lui comprimait la poitrine.
Libérât s'est écrié qu'ils prenaient du retard alors que deux légionnaires insistaient auprès des jeunes filles qui finalement se sont laissées emporter sans résistance.
En partant, elles marchaient toutes trois, angoissées et hésitantes, mais Césidia, veuve et mère, s'est exclamée vers elles sur un ton émouvant :
Filles de mon cœur ! Ne nous rendons pas au mal... Cherchons vaillamment la volonté du Christ ! Dieu nous assiste et la vérité nous guide... Mieux vaut la mort avec la liberté que la vie avec l'esclavage ! Avançons résolument ! Les fauves de l'amphithéâtre sont nos bienfaiteurs !... Adieu ! Adieu !...
Leur visage en pleurs sans désespoir, Prisca et Lucine se sont dirigées vers le sentier immonde qui leur était indiqué, lançant des baisers à leurs amis qui restaient en arrière.
Les prisonniers ont repris leur marche.
Un peu plus loin, les matrones furent également jetées dans des cellules différentes alors que les quatorze hommes angoissés mais fermes dans leur foi furent conduits dans une grande salle obscure et humide.
Quelques torches ont commencé à briller.
Un légionnaire
Numicius ricana ironiquement et lui fit remarquer irrévérencieux :
N'y pense pas ! Nous sommes sûrs qu'elles sont toutes vierges et le légat a droit au premier choix. Valérien les verra demain. Après lui, alors...
Puis insouciant et sans le moindre respect, il a ajouté : — Nous les jouerons au jeu.
Des rires étouffés se sont éparpillés parmi les serviteurs de la justice impériale.
Après quelques moments, Egnas Valérien a pénétré solennellement dans l'enceinte.
Le messager de Gallus voulait donner la plus grande importance au travail initié. De toute part, la rumeur parlait d'une probable rébellion des classes inférieures et l'on craignait une rapide adhésion des groupes insurgés.
Il vivait donc entouré d'insidieuses réclamations.
Les familles aisées lui demandaient de prendre des mesures drastiques préventives et les dénonciations de Teodul étaient les premiers emprisonnements du grand mouvement de coercition qu'il prétendait décupler.
Suivi par plusieurs assesseurs, il s'est adressé aux humbles prisonniers d'un ton hautain et arrogant :
— Plébéiens ! — dit-il sèchement —j'ai pratiqué avec largesse dans cette ville la droiture et la tolérance obéissant aux traditions de nos ancêtres, néanmoins, d'honnêtes et respectables patriciens se plaignent de votre attitude ces derniers temps, ce qui constitue une grave menace à la tranquillité des citoyens. Vous êtes accusés, non seulement de cultiver la magie infâme des nazaréens, mais aussi de conspirer contre l'État, avec l'objectif d'usurper la position et le patrimoine des élus d'Auguste qui vous dirigent. Je ne peux donc pas reporter la punition exigée par notre communauté. L'expurgation est indispensable.