— Mon collègue que voilà, dis-je, en montrant Ben Béru, est soucieux. Il voudrait avoir des partenaires à la hauteur pour son exhibition de catch.
— Qu’à cela ne tienne, déclare Obolan, superbe.
Il s’adresse à Abdel-huèner, son ministre des loisirs et de la prostitution réunis.
— Cisavapha fricsionla ! lui dit-il.
L’interpellé touche son front, sa bouche, sa poitrine, son nombril et s’abîme dans d’intenses réflexions. Lorsque la fumée de son cerveau surmené commence à lui sortir par les narines, il répond.
— Fopapou cépapa danlézorti !
Approbation de l’émir.
— Le nécessaire sera fait, promet-il. Votre ami aura son adversaire.
Nous nous inclinons et sortons.
Lorsque le soleil commence à rougir le sable à l’horizon, à l’heure où le chacalot (ou petit chacal, ne pas confondre avec le cachalot) jappe pour appeler sa maman aux pis gonflés, Pinaud et Sirk rentrent au palais.
Il semble joyce, le père Pinuche.
— T’as du neuf, Vieillard ? je le questionne.
— Et du raisonnable, fait-il.
— Raconte.
— Figure-toi, commence-t-il, que nous avons demandé des tuyaux à des soldats, ceci afin de ne pas éveiller de soupçons, justement. Le militaire qui nous a renseignés était un garçon bien de sa personne, à la mine éveillée et au sourire engageant. On sentait, rien qu’à le voir, qu’il…
— Je ne te demande pas de me raconter sa vie, Pinaud.
Sirk, agacé, prend le crachoir.
— Nous savons où se trouve le bâtiment des communications télégraphiques. Il est juste derrière le palais, sur la hauteur. Une demi-douzaine d’employés s’y roulent les pouces et une sentinelle monte la garde devant l’entrée.
— C’est tout ?
— Absolument tout. Seulement il y a un hic : les particuliers ne peuvent utiliser ce centre. Il appartient à Sa Majesté l’émir. Si un commerçant de la ville a un message à adresser, il doit confier celui-ci au ministère de l’intérieur qui lui donne ou non avis favorable.
Je fronce le nez. Le message que je voudrais expédier n’est pas soumettable aux services du gars Obolan, vous l’avez déjà deviné, non ?
— Il est comment, ce bâtiment ?
— Assez simple, fait Pinuchet, qui sait lire parfois dans le fond de ma pensée aussi bien que Mme Irma dans le marc de caoua.
— Des barreaux aux fenêtres ?
— Oui.
— Plusieurs entrées ?
— Deux. Les employés habitent la construction.
— Très bien, nous verrons, le moment venu, la meilleure manière de procéder.
Je suis commak, les gars. Je compte toujours sur l’inspiration. Jusqu’alors, vous le savez, elle ne m’a jamais fait défaut. Le propre de la vie c’est d’être mouvante, malléable, façonnable. Sa consistance change d’une seconde à l’autre. Peut-être que ça provient des conjonctures astrales, je ne vous dis pas le contraire. En tout cas, chaque instant exige une recette particulière. Vous mordez ? Hé ! Je vous cause ! Soyez pas toujours dans le cirage, mes lapins.
Y’a des moments, franchement, c’est fou ce que vous me faites de la peine. Vous êtes plus dans le circuit. Vous coltinez votre pauvre destin comme un boy-scout son sac tyrolien, en oubliant un peu de vivre. C’est glandulaire ou quoi ? Y a des pilules pour votre cas, mes Fils. Le salut, il est chez votre pharmago habituel. Faites un traitement, et quand vos cellules grises auront eu droit à un bon rodage de soupape, dites-le-moi, qu’on essaie de rigoler ensemble au moins une fois. D’ac ?
On achève la journée par un solide galimafrage.
Et chacun regagne ses appartements.
Il fait doux.
Ah ! la puissance lénifiante des nuits kelsaltipes !
Un clair de lune couleur de-ce-que-vous-voudrez — pourvu — que — ça — soit — jaune se faufile dans ma chambre, polisson !
Je me tourne et me retourne sur mes moelleux coussins en pensant à des trucs rigoureusement étrangers à ma mission. Il se dit, votre fougueux San-Antonio, que ce genre de mission manque de bergères. Voilà un bout de moment que j’en ai pas cramponné une dans mes bras et je commence à avoir de l’amertume dans le bas-ventre.
Quand on pense, que juste au-dessous de moi, il y a le harem de l’émir Obolan, mieux achalandé que les Galeries Lafayette ; admettez que ça fait frissonner l’honnête homme en parfait état de marche, hein ?
J’essaie de fermer les yeux et de m’abandonner au sommeil. Y a pas mèche. La nuit d’Arabie me porte aux nerfs, à la peau, partout.
Les solides ronflements des autres ne m’encouragent guère à les imiter. Ce que ça peut être hideux, le sommeil. Ce coma bruyant, torturé, cette bête inconscience m’effraient. C’est ridicule. C’est pitoyable. L’homme est fait pour rester éveillé et pour mourir. La part du feu qu’est le pageot, je voudrais pouvoir la supprimer. Toujours conserver son self-control, ne plus être un homme de quart, parmi tant et tant d’autres, mais un homme d’entier, ça devrait être bath il me semble.
Pas un souffle. De l’extérieur me parviennent des senteurs de plantes opiacées qui m’émoustillent davantage.
Et brusquement, je me dresse, le cœur en surmultipliée. J’ai la certitude fulgurante qu’il y a quelqu’un dans ma chambre.
Effectivement, une silhouette est debout près de la porte.