— Dis-moi, l’interrompais-je, les deux hommes blonds qui habitent chez Obolan, ce sont des Russes, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Que cherchent-ils, à l’emplacement de l’atterrissage ?
Elle secoue la tête.
— Je l’ignore. Je ne sors jamais et je ne sais rien de ce qui se passe en dehors du palais.
Nous nous en sommes assez dit comme ça. Maintenant nous devons nous en faire.
Et nous nous en faisons.
Elle me révèle le coup du rossignol dans le rosier sableux, ensuite c’est l’arabesque fantôme, le shâh persan, le shâh persé, le raton-baveur, le croissant de lune dans le train ; le train des équipages dans la lune, si-tu-n’en-veux-pas-je-la-remets-dans-mes-fèzes et, son morceau de bravoure : la nuit des rois sur le mont Chauve.
Bref, lorsque la gentille enfant me quitte, silencieusement, comme elle est venue, je me dis qu’après tout le sommeil a du bon pour l’homme qui a su bien remplir sa journée, sa mission et ses devoirs de mâle.
— À demain, toi sans qui l’amour ne serait que ce qu’il est, lui dis-je. Dès que mon numéro de tir sera fini, on se retrouvera ici.
Elle acquiesce et me dit, tendrement :
— À demain, Paris !
C’est gentil, non ?
CHAPITRE XII
Paris !
C’est le mot qui me vient à l’esprit au réveil. Je suis éberlué par cette nuit d’ivresse. Si je m’attendais à une belle partie galante ! Oh ! non, je jure, ma vie est tellement pleine d’imprévus que je vais sûrement avoir un excédent de bagages à payer. Cette Lola, vous parlez d’une ravageuse de sommiers ! Quelle technique ! Quelle science ! Quels dons ! C’est vachard, ce qui lui est arrivé, mais ça lui a permis de réaliser les qualités secrètes qu’elle possédait. Grâce à la bande Sirk Hamar, elle a pu les développer. La mise en exploitation, c’est un truc délicat. C’est pas le tout de dénicher un gisement de pétrole dans son jardin : faut le mettre en valeur.
En apercevant Sirk, j’éclate de rire.
— Qu’est-ce qui vous amuse ? bougonne-t-il.
Je m’apprête à lui parler des fantaisies du hasard, mais je me ravise. En me farcissant Lola, j’ai commis un crime de lèse-majesté. Je suis passible du pal et de l’ablation des amygdales sud. Supposez qu’Hamar joue au comte et qu’il aille glavioter le morceau à l’émir ? Vous l’imaginez, votre San-A. bien aimé, déguisé en girouette ?
— Rien de particulier, réponds-je. Je suis joyce parce que c’est la fiesta. J’ai jamais pu résister à la magie des kermesses, mon petit gars.
Il hausse ses vigoureuses épaules.
— Je vous trouve plutôt optimiste dans votre genre.
— L’optimisme, Sirk, c’est la santé de l’âme.
— Dites voir, murmure-t-il, pour faire mon numéro de prestidigitation, j’aimerais être masqué, c’est pas incompatible, non ?
Je le défrime suavement.
— C’est pour corser le mystère ou pour te tenir la bouille au sec, bonhomme ?
— Y a rassemblement de trèpe au palais et je ne voudrais pas être reconnu de certaines gens qui probablement s’y trouveront.
— En ce cas, tu as raison : masque-toi.
Ces fêtes démarrent dans la liesse.
On espérait un peu de pluie pour ajouter à l’ambiance, mais on n’a pas vu de nuage dans le pays depuis le règne de l’émir Ador. Qu’importe. Le soleil, on s’y accoutume, à la longue.
Le grand boss du Kelsaltan, l’iman Komirespyr, est là avec sa garde personnelle et sa suite (plusieurs lignes groupées). C’est dire si l’émir Oton, l’émir Akulé, l’émir Ab El, l’émir Ifik, et le plus vieux d’entre eux : l’émir Liton ont également répondu présent à l’appel.
Quel faste ! Ils ont amené leurs plus beaux atours, leurs plus beaux larbins, leurs plus belles femmes.
L’un s’est radiné à dromadaire, un autre à dos d’éléphant, un troisième en jeep, un quatrième à cheval et l’iman a pris son avion personnel : un Rivoire et Carret 1925 à hélice bi-convexe et moteur Bozon-Verduraz. L’appareil offre ceci de particulier, c’est qu’il ne comporte qu’un seul siège : celui de l’iman, sa suite voyageant debout par déférence, y compris le pilote.
Autre particularité, le siège en question est une lunette de water-closet car l’iman a peur de l’avion, ce qui lui provoque des troubles intestinaux. Naturellement la lunette en question est en platine et son abattant en or massif, vous aviez rectifié de vous-même je n’en doute pas.
Le palais s’emplit d’une rumeur joyeuse. Les couloirs sont investis par une foule chamarrée, jacassante et rieuse.
Béru considère ce brouhaha, s’ébroue et fait « haha »[11]
.— Quand je vais raconter tout ça à ma Berthe, s’extasie-t-il, elle va croire que je lui bonnis l’histoire de Paladin et de sa loupiote magique !
Le défilé est inoubliable.
— Quel dommage que j’aie pas pris mon Kodak ! se lamente Pinaud. J’aurais fait des photos couleur que j’eusse pu revendre à Match !
C’est la cavalcade du Barnum Circus. En plus chatoyant.
Le banquet en plein air qui suit dans les jardins du palais (lesquels se nomment les jardins de l’Avhanbrâ) relève de la superproduction américaine. On y croque des moutons entiers arrosés de piment. Des baladins grattent le trou de leur luth en psalmodiant des mélopées d’Eraste.