Sirk, qui connaît son métier, lui place un coup de goumi de ses deux mains croisées. L’autre ne dit rien, mais n’en pense pas moins, et se hâte de déguster la poussière.
— Allez, les mecs, fais-je en bondissant. Au turf, y a urgence.
Comme nous parvenons à la porte, celle-ci s’ouvre et deux employés qui radinaient pour assister à la castagne annoncée à l’extérieur, se trouvent nez à nez avec le canon de mon revolver et avec celui du fusil dont Pinaud s’est emparé.
— Pour la suite du rodéo, restons à l’ombre ! ricané-je en leur poussant l’index de mon tu-tues dans la tripaille.
Ils font ce que font les hommes de toutes les latitudes en pareille circonstance : ils lèvent leurs jolis bras sans muscles.
— Sirk, amène la sentinelle à l’intérieur, je voudrais pas qu’elle chope une insolation.
— C’est déjà fait, se marre Hamar.
— Rentre-la tout de même, pour si des fois un passant passait comme font la plupart des passants.
La salle des messages, c’est la première à droite en entrant.
Je m’y propulse et je m’assieds devant l’appareil émetteur.
— Garde ces bédouins au frais pendant que je fonctionne, Pinuche.
Là-dessus je me repère dans l’appareillage du Centre. Chose curieuse, vu le patelin, il n’est pas trop archaïque. Je mets le contacteur à valve, je branche le pelliculaire-convalescent, je glotemuche le pénétrateur à ondes gondolées et j’y vais de ma chansonnette.
— Allô ! Sana appelle Duralex-Sedlex…
Mon organe fait le grand écart dans le ciel brûlant d’Arabie. Il enjambe les déserts et va se poser dans l’esgourde du correspondant d’Aden, ou d’un de ses collaborateurs.
— Duralex-Sedlex écoute…
— Avez-vous possibilité fréter d’urgence avion pour prendre six passagers à Aigou ?
— Allons faire le nécessaire.
— Dans combien de temps l’appareil peut-il se poser à Aigou ?
Un silence. On sent que le correspondant se livre à un calcul rapide.
— D’ici cinq heures environ.
Je dis au copain de faire au plus vite, vu que nous bivouaquons en ce moment sur une plaque chauffante. Je lui demande de prévenir le Vieux que les agents sont retrouvés, qu’un seul est en vie et que les documents ne sont toujours pas en possession des autres ! L’avion devra se poser à environ deux kilomètres à l’est d’Aigou, derrière une petite dune. Le camarade d’Aden répond O.K. et je le laisse vaquer à ses occupations.
— Maintenant, enfermons ces gaillards dans un coin tranquille afin qu’ils ne puissent pas donner l’alarme ! ordonné-je. Il nous faut cinq heures de tranquillité.
Tout à fait entre nous et la Foire du Trône, je ne suis pas très optimiste. Parce que je ne sais pas si vous vous rendez compte de la situation, mes chéries, mais j’accumule les périls à une vitesse grand C. Les prisons secrètes, avec des gardes morts ou entravés ; le prisonnier évadé dans ma chambre ; et maintenant, le centre de transmission neutralisé, ça fait un peu beaucoup. Si nous parvenons à faire encore illusion pendant cinq heures après ce festival Tintin, c’est que notre bonne étoile se plait sous le ciel d’Arabie.
Une fois la sentinelle et les préposés ficelés et bâillonnés dans un hangar où sont rassemblées les ondes défectueuses, je donne le signal du retour.
La fiesta est en train de s’achever. Les invités d’Obolan procèdent à la cérémonie des cadeaux. L’iman lui a apporté une négresse-sport à injection directe, amortisseurs spéciaux, capot profilé et refroidissement par éventail incorporé. Un autre émir lui fait présent d’un petit caïman qui offre la particularité de ne se nourrir que de petites filles prénommées Odile ; un autre lui remet une trousse à castrer en argent massif de chez Zermès, un troisième émir lui donne un bonjour d’Alfred de l’époque Byzantine, conservé dans du formol, et le quatrième lui fait cadeau d’un petit enfant de harem eunuque qui a remporté le premier prix de Mysoginie au dernier trimestre et qui a obtenu son B.E.P.C.[14]
Obolan, ému, remercie ses rois mages fastueux. Il offre un thé d’honneur.
Je cherche Bérurier du regard, mais ne l’apercevant pas, j’en déduis que le Valeureux tient compagnie à S 04 H2. Nous fonçons vers nos appartements. Ma décision est prise : il s’agit de les mettre en loucedé. Je préfère me planquer dans les environs en attendant notre coucou plutôt que de me mijoter un infarctus au palais.
Je pénètre dans ma piaule, avec, sur les talons, mes deux assistants, je suis très content de Sirk, voyez-vous. C’est un gars efficace, une fois qu’il n’a plus la possibilité de vous blouser. C’est courant. Combien de gens ne sont honnêtes que parce qu’ils ont les moyens de l’être !
À peine ai-je mis le pied dans ma carrée que mes veines se vident comme si elles étaient pleines d’éther.