Or, comme les vicissitudes de la vie s’'etendent aussi bien sur les rois que sur les sujets, et que toujours les biens sont m^el'es de quelques maux, le ciel permit que la reine f^ut tout `a coup attaqu'ee d’une ^apre maladie, pour laquelle, malgr'e la science et l’habilet'e des m'edecins, on ne put trouver aucun secours. La d'esolation fut g'en'erale. Le roi, sensible et amoureux, malgr'e le proverbe fameux qui dit que l’hymen est le tombeau de l’amour, s’affligeait sans mod'eration, faisait des voeux ardents `a tous les temples de son royaume, offrait sa vie pour celle d’une 'epouse si ch`ere ; mais les dieux et les f'ees 'etaient invoqu'es en vain. La reine, sentant sa derni`ere heure approcher, dit `a son 'epoux qui fondait en larmes : « Trouvez bon, avant que je meure, que j’exige une chose de vous : c’est que s’il vous prenait envie de vous remarier… » `A ces mots, le roi fit des cris pitoyables, prit les mains de sa femme, les baigna de pleurs, et, l’assurant qu’il 'etait superflu de lui parler d’un second hym'en'ee : « Non, non, dit-il enfin, ma ch`ere reine, parlez-moi plut^ot de vous suivre. – L’'Etat, reprit la reine avec une fermet'e qui augmentait les regrets de ce prince, l’'Etat doit exiger des successeurs, et, comme je ne vous ai donn'e qu’une fille, vous presser d’avoir des fils qui vous ressemblent : mais je vous demande instamment, par tout l’amour que vous avez eu pour moi, de ne c'eder `a l’empressement de vos peuples que lorsque vous aurez trouv'e une princesse plus belle et mieux faite que moi ; j’en veux votre serment, et alors je mourrai contente. »
On pr'esume que la reine, qui ne manquait pas d’amour-propre, avait exig'e ce serment, ne croyant pas qu’il f^ut au monde personne qui p^ut l’'egaler, pensant bien que c’'etait s’assurer que le roi ne se remarierait jamais. Enfin elle mourut. Jamais mari ne fit tant de vacarme : pleurer, sangloter jour et nuit, menus droits du veuvage, furent son unique occupation.
3. Intitulez le fragment du conte et faites le devoir !
Les grandes douleurs ne durent pas. D’ailleurs, les grands de l’'Etat s’assembl`erent, et vinrent en corps prier le roi de se remarier. Cette premi`ere proposition lui parut dure, et lui fit r'epandre de nouvelles larmes. Il all'egua le serment qu’il avait fait `a la reine, d'efiant tous ses conseillers de pouvoir trouver une princesse plus belle et mieux faite que feu sa femme, pensant que cela 'etait impossible. Mais le conseil traita de babiole une telle promesse, et dit qu’il, importait peu, de la beaut'e, pourvu qu’une reine f^ut vertueuse et point st'erile ; que l’'Etat demandait des princes pour son repos et sa tranquillit'e ; qu’`a la v'erit'e l’infante avait toutes les qualit'es requises pour faire une grande reine, mais qu’il fallait lui choisir un 'etranger pour 'epoux ; et qu’alors, ou cet 'etranger l’emm`enerait chez lui, ou que, s’il r'egnait avec elle, ses enfants ne seraient plus r'eput'es du m^eme sang ; et que, n’y ayant point de prince de son nom, les peuples voisins pourraient leur susciter des guerres qui entra^ineraient la ruine du royaume. Le roi, frapp'e de ces consid'erations, promit qu’il songerait `a les contenter.
Effectivement il chercha, parmi les princesses `a marier, qui serait celle qui pourrait lui convenir. Chaque jour on lui apportait des portraits charmants, mais aucun n’avait les gr^aces de la feue reine : ainsi il ne se d'eterminait point. Malheureusement, il s’avisa de trouver que l’infante, sa fille, 'etait non seulement belle et bien faite `a ravir, mais, qu’elle surpassait encore de beaucoup la reine sa m`ere en esprit et en agr'ements. Sa jeunesse, l’agr'eable fra^icheur de son beau teint enflamma le roi d’un feu si violent qu’il ne put le cacher `a l’infante, et il lui dit qu’il avait r'esolu de l’'epouser, puisqu’elle seule pouvait le d'egager de son serment.
4. Intitulez ce passage et faites le devoir !
La jeune princesse, remplie de vertu et de pudeur, pensa s’'evanouir `a cette horrible proposition. Elle se jeta aux pieds du roi son p`ere, et le conjura, avec toute la force qu’elle put trouver dans son esprit, de ne la pas contraindre `a commettre un tel crime.
Le roi, qui s’'etait mis en t^ete ce bizarre projet, avait consult'e un vieux druide pour mettre la conscience de la princesse en repos. Ce druide, moins religieux qu’ambitieux, sacrifia, `a l’honneur d’^etre confident d’un grand roi, l’int'er^et de l’innocence et de la vertu, et s’insinua avec tant d’adresse dans l’esprit du roi, lui adoucit tellement le crime qu’il allait commettre, qu’il lui persuada m^eme que c’'etait une oeuvre pie que d’'epouser sa fille. Ce prince, flatt'e par les discours de ce sc'el'erat, l’embrassa, et revint d’avec lui plus ent^et'e que jamais dans son projet : il fit donc ordonner `a l’infante de se pr'eparer `a lui ob'eir.