Mon très cher ami, moi aussi je ne veux point tarder à te dire combien ta lettre du 24 m'a donné de bonheur: je savais bien que le Roi ne résisterait pas à ta demande, mais je croyais que cela occasionnerait encore beaucoup plus de difficultés et d'embarras, et cette idée m'était pénible parce que cela devenait encore un nouveau sujet de tracas pour toi, et t'aurait préoccupé pour mon bonheur. Il serait cependant bientôt temps que tu n'aies plus qu'à te reposer et à me voir chercher à mériter tous les bienfaits, mais sois cependant bien persuadé que je n'aurais jamais eu besoin d'une ordonnance Royale pour ne plus te quitter et te vouer mon existence entière comme à ce qu'il y a de plus bon, et à ce que j'aime le plus au monde, oui le plus, je puis bien te l'écrire maintenant que tu est à Paris et que je ne risque pas que tu oublies ou perdes la lettre, car il y avait à Soulz du monde auquel cela aurait fait de la peine et, quand on est au comble du bonheur, il ne faut pas oublier la terre entière. Mais la tendresse est un sentiment qui suit de si près la reconnaissance que je t'aime plus que tous les miens ensemble, je ne puis pas tarder plus à t'en faire l'aveu. Ce [n'] est peut-être pas bien d'éprouver de pareils sentiments, mais que veux-tu, je n'ai jamais su me commander même pour les choses les plus ordinaires, comment veux-tu que je résiste au désir de te faire lire au fond de mon cœur, qui n'a et qui n'aura jamais rien de caché pour toi, pas même ce qu'il ne fera pas bien, car tu es bon et indulgent et je compte là-dessus comme sur ton amitié, et celle-là ne me manquera jamais, j'en suis persuadé car de ma vie je ne ferais rien pour la perdre.
Je te félicite d'être enfin à Paris et je suis sûr que tu y feras du bon sang, à moins cependant que tu n'ailles trop souvent au salon des étrangers où le climat est aussi excessivement mauvais pour les hommes nerveux, et je crois que tu es du nombre de ces derniers.
Je te recommande beaucoup un de mes anciens amis dont sans doute tu auras entendu parler très souvent à Soulz, c'est le marquis de La Villette: un garçon rempli d'esprit qui a passé sa vie à Paris; par conséquent il te sera d'une très grande ressource pour toutes tes courses. C'est un garçon qui m'aime beaucoup et, qui plus est, me l'a prouvé en plusieurs occasions; j'ai passé 18 mois avec lui à la campagne près de Blaye et sans lui j'aurais fait bien des sottises. Enfin quand tu le verras, parle-lui beaucoup de moi si tu veux lui faire plaisir et traite-le bien. Il le mérite sous tous les rapports.
Ton histoire sur la femme de mon cher cousin m'a beaucoup amusé et me prouve qu'elle est toujours la même, car à son premier voyage, il y a 3 ans, elle nous faisait mourir de rire, mais c'était toujours Adèle qui avait le talent de lui faire raconter des histoires de l'autre monde à la grande joie de toute la bande: on la questionnait surtout sur la société qui composait son intimité, et qui avaient tous des noms incroyables, mais moi pour ajouter à tout ce que l'on t'aura raconté sur son compte, je te dirai, mais cela sans fatuité, qu 'elle n'a jamais été une de mes passions, mais c'est moi qui était la sienne; aussi elle me désespérait quand elle me disait avec son accent lorrain: "Je vous aime beaucoup, mon cousin,