Dans les grands espaces de terre, s'élevaient des arbres fruitiers, cultivés avec soins, qui laissaient ressortir les zones réservées aux légumes et à un emplacement bien entretenu où se trouvaient les animaux domestiques. Sous les épais branchages, des chèvres apprivoisées reposaient en paix et se confondaient avec les moutons à la laine claire et douce. Plus loin, des juments tranquilles broutaient et, de temps en temps, des nuées de pigeons passaient dans le ciel en bandes joyeuses. Entre les légumes, jouait le filet agile d'un long ruisselet. Helvidius Lucius observait que tout était soigneusement propre et invitait l'homme à la vie bucolique simple et généreuse.
De-ci delà, se trouvaient un humble petit vieux ou un enfant sain que le frère Marin saluait avec un geste de tendresse et de bonté.
Profondément impressionné par ce qu'il voyait, le fils de Cneius Lucius a souligné,
ému :
Ce jardin merveilleux me donne l'impression d'un tableau biblique ! Entre ces arbres, je respire l'air balsamique comme si la campagne parlait ici plus intimement à l'âme ! Dis- moi! Comment est organisé votre travail ? Combien payez-vous les travailleurs dévoués qui sont vos assistants ?...
Nous ne payons rien, mon bon ami, je cultive ce jardin depuis plusieurs années et c'est ici que se fournit le monastère dont je suis le modeste jardinier. Je n'ai pas d'employés. Mes assistants sont d'anciens habitants du voisinage qui m'aident gracieusement quand ils disposent d'un peu de temps. Les autres sont des enfants de ma modeste école, fondée il y a plus
Mais quel secret y a-t-il dans ces parages -s'exclama Helvidius respirant à plein poumons -, pour que la terre se montre si généreuse, si exubérante ?
Je ne sais pas - a dit le frère des pauvres, avec simplicité -, ici nous aimons beaucoup la terre, voilà tout ! Pour recevoir leurs cadeaux et leurs fleurs, nos arbres fruitiers ne sont jamais coupés. Les agneaux nous donnent une laine précieuse, les chèvres et les juments un lait nutritif, mais nous ne les faisons pas abattre, jamais. Les orangers et les oliviers sont nos meilleurs amis. Parfois, c'est à l'ombre de leurs branches que nous faisons nos prières, les jours de repos. Nous sommes, ici, une grande famille. Et nos liens d'affection se prolongent à la nature.
Au fur et à mesure de ses explications qu'Helvidius acquiesçait poliment, elle énumérait les coutumes et décrivait les faits relatifs à ses observations et à sa propre expérience, elle donnait à chaque mot une empreinte d'amour qui manifestait toute la simplicité de son esprit.
Un jour - expliqua-t-elle avec un sourire infantile -nous avons remarqué que les chevreaux les plus âgés aimaient poursuivre les petits agneaux apprivoisés. Alors, les enfants de l'école, se rappelant que Jésus obtenait tout par la douceur de ses enseignements, ont décidé de m'aider à l'élevage des moutons et des chèvres, en construisant pour cela un seul enclos... Encore petits, les uns et les autres, venant de mères différentes, étaient réunis de toute part et, avec le soutien des garçons, ils étaient guidés par nos prières et les leçons en plein air. Les enfants ont toujours cru que les leçons de Jésus devaient aussi concerner les animaux et je les ai laissé nourrir cette charmante conviction. Le résultat a été que les chevreaux querelleurs ont disparu. Dès lors l'enclos devint un nid d'harmonie. En grandissant ensemble, en mangeant la même luzerne et en sentant toujours leur compagnie, les uns et les autres ont éliminé leurs aversions instinctives !... Pour moi, qui observait ces leçons à chaque instant, je me suis mis à penser combien sera heureuse la communauté humaine quand tous les hommes comprendront et pratiqueront l'Évangile ?...
Les larmes aux yeux, le tribun a écouté sa petite histoire qui reflétait sa radieuse simplicité.
Fixant son interlocuteur, Helvidius Lucius a ajouté, laissant transparaître une lueur nouvelle dans son regard :
Frère Marin, je comprends, maintenant, l'exubérance de cette terre et la beauté de ce paysage. Tous ces faits sont un miracle de dévouement car vous consacrez toutes vos énergies à la terre bienveillante. Vous avez beaucoup aimé et cela est essentiel. Pendant de nombreuses années, j'ai moi aussi été un homme de la campagne, mais jusqu'à présent, je n'ai exploré la terre que par intérêt commercial. Maintenant je comprends que, désormais, je dois aimer aussi la terre, si je retourne un jour au champ. Aujourd'hui, je comprends que tout au monde est amour et tout exige de l'amour.
La jeune femme, qui était enthousiasmée par ses espoirs, écoutait les considérations paternelles.
Helvidius Lucius est resté là pendant trois jours, à se rétablir dans cette paix inaltérable. Des heures d'une douce tranquillité où toutes les amertumes terrestres comme par enchantement s'étaient calmées au fond de son cœur attristé.