C'est pourquoi je condamne avant tout le mélangeur de livres.
Et je te bâtis et te maintiens tel, non que tu sois perpétuellement alimenté, ce qui n'est point de la faiblesse de ton cœur, mais que tu sois route bien tracée, porte bien ouverte, temple bien bâti pour recevoir. Je te veux instrument de musique attendant le musicien.
C'est pourquoi je t'ai dit que le poème que je t'ai réservé était ascension de toi-même.
Et ceux-là seuls accèdent à la connaissance véritable qui refont le chemin perdu et retrouvent les êtres qu'ils ont répandus en gravats.
Je veux te montrer ta patrie qui est la seule où ton esprit se puisse mouvoir.
Et c'est pourquoi je dis encore que ma contrainte te délivre et t'apporte la seule liberté qui compte. Car tu appelais liberté ce pouvoir que tu as de démolir ton temple, de mêler les mots du poème, d'égaliser les jours que mon cérémonial avait bâtis en basilique. Liberté de faire le désert. Et où te trouveras-tu?
Moi j'appelle liberté ta délivrance.
C'est pourquoi je t'ai dit autrefois: liberté de l'esclave ou de l'homme, respect de l'ulcère ou de la chair saine? Justice pour l'homme ou pour la pègre? C'est contre toi, à travers toi, pour toi que je suis juste. Et certes je suis injuste pour l'homme de la pègre ou le cancre ou la chenille qui n'a pas mué puisque je les force de se renoncer et de devenir.
CVII
Car t'instruisant je te contrains. Mais telle est la contrainte qu'une fois absolue elle
devient invisible, comme de t'obliger au détour pour chercher la porte à travers le mur, et tu ne me la reproches ni ne t'en lamentes.
Car les règles du jeu de l'enfant sont contraintes. Mais il les souhaite. Car mes notables tu les vois briguer les charges et les devoirs des notables, lesquels sont contraintes. Et les femmes tu les vois qui obéissent à l'usage dans le choix de leurs parures, lesquelles varient chaque année et là aussi il s'agit d'un langage qui est contrainte. Car nul ne souhaite la liberté de ne plus être compris.
Si je dénomme maison tel arrangement de mes pierres tu n'es point libre de changer le mot sous peine d'être seul, faute de savoir te faire entendre.
Si je dis de fête et de joie tel jour de l'année, tu n'es point libre de n'en point tenir compte sous peine d'être seul, faute de communier avec le peuple dont tu sors.
Si je tire un domaine de tel arrangement de mes chèvres, de mes moutons, de mes demeures, de mes montagnes, tu n'es point libre de t'en affranchir sous peine d'être seul, faute de collaborer quand tu travailles à l'embellissement du domaine.
Ta liberté quand elle a fondu tes glaciers en mare te laisse d'abord seul, car tu n'es plus élément du glacier qui gravit le soleil sous son manteau de neige, mais égal à l'autre et au même niveau, sous peine de vous haïr à cause de vos différences, et ayant trouvé l'état de repos que trouvent bientôt les billes mêlées, et n'étant plus soumis à rien qui vous domine, même à l'absolu du langage, voilà désormais interdite toute communication entre vous, et, vous ayant inventé pour chacun votre langage particulier, ayant élu chacun votre jour de fête, vous voilà tranchés les uns d'avec les autres et plus seuls que les astres dans leur infranchissable solitude.
Car de votre fraternité que sauriez-vous attendre si elle n'est point fraternité dans l'arbre dont vous êtes les éléments, lequel vous domine et vous vient de l'extérieur, car je dis cèdre la contrainte de la rocaille, laquelle n'est point fruit de la rocaille mais de la graine.
Comment sauriez-vous devenir cèdre si chacun choisit l'arbre à bâtir ou ne prétend point servir un arbre ou même s'oppose à la montée d'un arbre qu'il dénommera tyrannie, et convoite la même place, il faut bien que l'on vous départage et que vous serviez l'arbre, plutôt que de prétendre vous en faire servir.
C'est pourquoi j'ai jeté ma graine et vous soumets à son pouvoir. Et je me connais comme injuste si justice est égalité. Car je crée des lignes de force et des tensions et des figures. Mais grâce à moi qui vous ai changés en branchages vous vous nourrirez de soleil.
CVIII
De ma visite à la sentinelle endormie.