Je te désire permanent et bien fondé. Je te désire fidèle. Car fidèle d'abord c'est de l'être à soi-même. Tu n'as rien à attendre de la trahison car les nœuds te sont longs à nouer qui te régiront, t'animeront, te feront ton sens et ta lumière. Ainsi des pierres du temple. Je ne les répands pas en vrac chaque jour pour tâtonner vers des temples meilleurs. Si tu vends ton domaine pour un autre, meilleur peut-être en apparence, tu as perdu quelque chose de toi que tu ne retrouveras plus. Et pourquoi t'ennuies-tu dans ta maison neuve? Plus commode, favorisant mieux ce que tu souhaitais dans ta misère de l'autre. Ton puits te fatiguait le bras et tu rêvais d'une fontaine. Voilà ta fontaine. Mais te manquent désormais le chant de la poulie et l'eau tirée du ventre de la terre qui te miroitait une fois au soleil.
Et ce n'est point que je ne désire que tu ne gravisses la montagne et ne t'élèves et ne te forme et souhaite marcher de l'avant à chaque heure. Mais autre chose est la fontaine dont tu embellis ta maison — et qui est victoire de tes mains — et ton installation dans le coquillage d'autrui. Car autre chose sont les gains successifs dans une même direction comme d'enrichir le temple, lesquels gains sont croissance d'arbre qui se développe selon son génie, et ton déménagement sans amour.
Je me méfie de toi lorsque tu tranches, car tu y risques ton bien le plus précieux, lequel n'est point des choses mais du sens des choses.
J'ai toujours connu comme tristes les émigrés.
Je te demande d'ouvrir ton esprit car tu risques d'être dupe des mots. Tel a fait son sens du voyage. Il va d'une escale à l'autre escale et je ne dis point qu'il s'appauvrisse. Sa continuité c'est le voyage. Mais l'autre aime sa maison. Sa continuité c'est la maison. Et s'il la change chaque jour il n'y sera jamais heureux. Si je parle du sédentaire, je ne parle point de celui-là qui aime d'abord sa maison. Je parle de celui qui ne l'aime plus ni ne la voit. Car ta maison aussi est perpétuelle victoire comme le sait bien ta femme qui la refait neuve au lever du jour.
Je t'enseignerai donc sur la trahison. Car tu es nœud de relations et rien d'autre. Et tu existes par tes liens. Tes liens existent par toi. Le temple existe par chacune des pierres. Tu enlèves celle-ci: il s'éboule. Tu es d'un temple, d'un domaine, d'un empire. Et ils sont par toi. Et il n'est point de toi de juger, comme on juge venu du dehors, et non noué, ce dont tu es. Quand tu juges c'est toi que tu juges. C'est ton fardeau, mais c'est ton exaltation.
Car je méprise celui-là qui, son fils ayant péché, dénigre son fils. Son fils est de lui. Il importe qu'il le semonce et le condamne — se punissant soi-même s'il l'aime — et lui assène ses vérités, mais non qu'il aille s'en plaindre de maison en maison. Car alors, s'il se désolidarise de son fils, il n'est plus un père, et il y gagne ce repos qui n'est que d'être moins et ressemble au repos des morts. Pauvres je les ai toujours trouvés ceux qui ne savaient plus de quoi ils étaient solidaires. Je les ai toujours observés qui se cherchaient une religion, un groupe, un sens, et qui faisaient la quête pour être accueillis. Mais ils ne rencontraient qu'un fantôme d'accueil. Il n'est d'accueil vrai que dans les racines. Car tu demandes à être bien planté, bien lourd de droits et de devoirs, et responsable. Mais tu ne prends pas une charge d'homme dans la vie comme une charge de maçon dans un chantier sur l'engagement d'un maître d'esclaves. Te voilà vide si tu te fais transfuge.
Me plaît le père, qui son fils ayant péché, s'en attribue à soi le déshonneur, s'installe dans le deuil et fait pénitence. Car son fils est de lui. Mais comme le voilà noué à son fils et régi par lui il le régira. Car je ne connais point de chemin qui n'ait qu'une direction. Si tu refuses d'être responsable des défaites, tu ne le seras point des victoires.
Si tu l'aimes, celle de ta maison, qui est ta femme, et qu'elle pèche, tu n'iras point te mêler à la foule pour la juger. Elle est de toi et tu te jugeras d'abord car tu es responsable d'elle. Ton pays a failli? J'exige que tu te juges: tu es de lui.
Car certes te viendront des témoins étrangers devant lesquels tu auras à rougir. Et pour te purger de la honte tu te désolidariseras de ses fautes. Mais il te faut bien quelque chose de quoi te faire solidaire. De ceux qui ont craché sur ta maison? Ils avaient raison, diras-tu. Peut-être. Mais je te veux de ta maison. Tu t'écarteras de ceux qui crachaient. Tu n'as pas à cracher toi-même. Tu rentreras chez toi pour prêcher: «Honte, diras-tu, pourquoi suis-je si laid en vous?» Car s'ils agissent sur toi et te couvrent de honte et que tu acceptes la honte, alors tu peux agir sur eux et les embellir. Et c'est toi que tu embellis.
Ton refus de cracher n'est point couverture des fautes. C'est partage de la faute pour la purger.