Donc il me parut équitable de ne point rembourser le trésor en le dispersant en gravats afin de rendre, car ils en furent pillés, son bijou à la courtisane, sa chèvre au berger, son boisseau de blé au laboureur et sa pièce d'or à l'avare, mais de rembourser à l'esprit ce qui fut emprunté à la chair. Ainsi fais-tu quand tu uses tes muscles à tailler la pierre puis, la victoire une fois gagnée, te frappes les mains l'une contre l'autre, pour te délivrer de leur poussière, te recules en plissant les yeux pour mieux voir, penches un peu la tête sur le côté, puis reçois le sourire du dieu comme une brûlure. J'eusse certes pu colorer de quelque lumière la restitution pure et simple. Car autre chose est de posséder un bijou quelconque, une chèvre, un boisseau de blé, une pièce d'or, desquels tu ne tires guère de plaisir, et de les recevoir en conclusion d'un jour de fête et sommet du cérémonial. Car ces humbles présents ont couleur de cadeau du roi et don de l'amour. Et j'ai connu ce propriétaire de champs de rosés innombrables, qui eût préféré s'en voir dépouiller jusqu'au dernier, plutôt que de perdre une seule rose fanée, cousue dans un humble carré de linge, et qu'il portait contre son cœur. Mais tel ou tel d'entre mes sujets eût pu se tromper et croire dans sa stupidité tirer sa joie du blé, de la chèvre, de l'or, ou d'une rose fanée cousue dans un carré de linge. Et je désirais les instruire. J'eusse certes pu changer mon trésor en récompense. Le général vainqueur, tu l'ennoblis face à l'empire, ou celui-là qui t'inventa une fleur nouvelle, ou un remède, ou un navire. Mais il se fût agit là d'un marché et qui se fût justifié de soi-même, logique et équitable, satisfaisant pour ta maison, mais d'un pouvoir nul sur le cœur. Si je te verse ton salaire, une fois le mois révolu, par où vois-tu qu'il puisse rayonner? Donc me parut peu à attendre de la réparation d'une injustice, de la glorification d'un dévouement, d'un hommage rendu au génie. Tu regardes, tu dis: «C'est bien.» Tout est en ordre, simplement, et tu rentres chez toi t'occuper d'autre chose. Et nul ne reçoit sa part de lumière, car la réparation se doit d'aller naturellement à l'injustice, la glorification au dévouement, l'hommage au génie. Et si ta femme te demande, quand tu pousses la porte: «Que se passe-t-il de neuf dans la ville?» tu répondras, ayant oublié, qu'il n'est rien à lui raconter. Car tu ne songes pas non plus à dire que les maisons sont éclairées par le soleil ou que le fleuve coule vers la mer.
Je déclinai donc la proposition de mon ministre de la justice lequel me prétendait avec obstination me faire glorifier et récompenser la vertu, alors que d'une part tu détruis par là même ce que tu prétends célébrer, et que d'autre part je le soupçonnais de s'intéresser à la vertu comme il se fût intéressé à un emballage pour fruits délicats, non qu'il fût exagérément licencieux, mais parce qu'il l'était avec délicatesse, goûtant d'abord la qualité.
«La vertu, lui répondis-je, je la châtie.»
Et comme il paraissait perplexe:
«Je te l'ai dit de mes capitaines dans le désert. Je les récompense de leur sacrifice dans le sable par l'amour du sable qui leur vient au cœur. Et, de les enfermer dans leur misère, je la fais somptueuse.
«Tes vertueuses, si elles goûtent la couronne de carton d'or, les suffrages des admirateurs et la fortune qui leur échoit, où loge donc leur vertu? Les filles du quartier réservé te font payer moins cher un don moins avare.»
Je déclinai enfin les propositions des architectes. «Vois, dirent-ils, tu peux échanger ce trésor stérile contre un seul temple qui serait la gloire de l'empire, et vers lequel, au cours des siècles, s'épuiseront les caravanes de voyageurs.»
Et certes, je hais l'usuel qui ne t'apporte rien. Et respecte le don aux hommes de l'étendue et du silence Plus utile que la possession d'un grenier de plus me paraît être la possession des étoiles du ciel, — et de la mer — bien que tu ne saches me dire en quoi elles cultivent ton cœur. Mais du quartier de la misère où tu meurs étouffé tu les désires. Elles sont appel vers une migration merveilleuse. Peu importe si elle est impossible. Le regret de l'amour, c'est l'amour. Et te voilà sauvé déjà quand tu tentes d'émigrer vers l'amour.