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Ainsi l'avais-je compris et c'est dépouillé et muré dans un triple rempart de solitude que je l'atteignais. Face l'un à l'autre, nous nous asseyions sur le sable. Je ne sais qui, alors, de lui ou de moi, était le plus puissant. Mais dans cette solitude sacrée la puissance devenait mesure. Car nos gestes ébranlaient le monde, mais nous les mesurions. Nous discutions alors de pâturages. «J'ai vingt-cinq mille bêtes, disait-il, qui meurent. Il a plu chez toi.» Mais je ne pouvais tolérer qu'ils apportassent leurs coutumes étrangères et le doute qui fait pourrir. Comment recevoir dans mes terres ces bergers d'un autre univers? Et je lui répondais: «J'ai vingt-cinq mille petits d'hommes qui doivent apprendre leurs prières et non celles des autres car autrement ils n'auront point de forme…» Et les armes décidaient entre nos peuples. Et nous étions semblables à deux marées qui vont et viennent. Et si aucun de nous n'avançait, bien que nous pesions de tout notre poids contre l'autre, c'est que nous étions à notre apogée, ayant durci notre ennemi de sa défaite. «Tu m'as vaincu, je suis donc devenu plus fort.»

Ce n'est point que je méprisais sa grandeur. Ni les jardins suspendus de sa capitale. Ni les parfums de ses marchands. Ni l'orfèvrerie délicate de ses ciseleurs. Ni ses grands barrages pour les eaux. L'homme inférieur invente le mépris, car sa vérité exclut les autres. Mais nous qui savions que les vérités coexistent, nous ne pensions point nous diminuer en reconnaissant celle de l'autre bien qu'elle fût notre erreur. Le pommier, que je sache, ne méprise point la vigne, ni le palmier le cèdre. Mais chacun se durcit au plus fort et ne mêle point ses racines. Et sauve sa forme et son essence car il est là un capital inestimable qu'il ne convient point d'abâtardir.

«L'échange véritable, me disait-il, c'est le coffret de parfum ou la graine ou ce présent de cèdre jaune qui remplit ta maison du parfum de la mienne. Ou encore mon cri de guerre quand il te vient de mes montagnes. Ou peut-être d'un ambassadeur, s'il a été longtemps élevé et formé et durci, et qu'à la fois il te refuse et t'accepte. Car il te refuse dans tes étages inférieurs. Mais il te retrouve là où l'homme s'estime au-dessus de sa haine. La seule estime qui vaille est l'estime d'un ennemi. Et l'estime des amis ne vaut que s'ils dominent leur reconnaissance et leurs remerciements et tous leurs mouvements vulgaires. Si tu meurs pour ton ami je t'interdis de t'attendrir…»

Ainsi mentirais-je si je disais que j'avais en lui un ami. Et cependant nous nous rencontrions avec une joie profonde mais c'est ici que les mots déraillent à cause de la vulgarité des hommes. La joie n'était point pour lui mais pour Dieu. Il était un chemin vers Dieu. Nos rencontres étaient clefs de voûte. Et nous n'avions rien à nous dire.

Me pardonne Dieu d'avoir pleuré quand il est mort.

Je la connaissais bien, l'imperfection de ma misère. «Si je pleure, me disais-je, c'est que je ne suis point encore assez pur.» Et je l'imaginais, s'il eût appris ma mort, comme à la rentrée dans la nuit d'un territoire. Et contemplant ce grand basculement du monde du même œil que le crépuscule. Ou celui qui se noie quand change le monde sous le miroir dormant des eaux. «Seigneur, eût-il dit à son Dieu, il fait nuit et il fait jour selon ta volonté. Mais qu'est-il perdu de cette gerbe faite, de cette époque révolue? J'ai été.» Et voilà qu'il m'eût enfermé dans son calme ineffable. Mais je n'étais point assez pur et n'avais point encore assez le goût de l'éternel. Et, comme les femmes, j'éprouvais cette mélancolie de surface, quand le vent du soir fane les rosés de mes vivantes roseraies. Car il me fane dans mes rosés. Et je me sens mourir en elles.

Au long de la vie j'avais enseveli mes capitaines, j'avais déposé mes ministres, j'avais perdu mes femmes. J'avais laissé derrière moi cent images de moi-même comme le serpent laisse ses peaux. Mais cependant, ainsi que revient le soleil qui est mesure et pendule du jour, ou l'été qui mesure le balancement de l'année, de rencontre en rencontre, de traité en traité nouveau, mes hommes d'armes dressaient la tente vide dans le désert. Et nous nous y rendions. Et ainsi la coutume solennelle et ce sourire de parchemin et ce calme près de la mort. Et ce silence qui n'est point de l'homme mais de Dieu.

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