Et c'est pourquoi j'aimais la guerre qui tend vers la paix. Avec son sable tiède et pacifique, et son sable vierge chargé de vipères, et ses lieux inviolés et ses abris. Et j'ai beaucoup songé sur les enfants qui jouent et transfigurent les cailloux blancs: «Voici, disent-ils, une armée en marche, là des troupeaux», mais le passant qui n'y voit que des pierres ne connaît pas la richesse de leur cœur. Ainsi celui qui vit de l'aube, et dans la glace du soleil plonge dans les ablutions d'eau froide, puis se chauffe dans la lumière des premières heures du jour. Ou simplement celui qui va au puits, quand il a soif, et tire lui-même la chaîne grinçante, et soulève le seau lourd sur la margelle et connaît ainsi le chant de l'eau et toutes ses musiques criardes. Sa soif a donc rempli de signification sa marche et ses bras et ses yeux, et il en est de cette promenade de l'homme qui a soif vers son puits comme d'un poème, mais les autres font signe à l'esclave, et l'esclave porte l'eau vers leurs lèvres et ils n'en connaissent point le chant. Leur commodité n'est qu'absence: ils n'ont point cru dans la souffrance et la joie n'a point voulu d'eux.
Ainsi ai-je remarqué de celui-là qui écoute la musique et n'a pas besoin de la pénétrer. Qui se fait comme sur une litière emporter dans la musique et ne veut point marcher vers elle, qui renonce au fruit dont l'écorce est amère. Mais moi je le dis: il n'est point de fruit s'il n'est point d'écorce. Et vous confondez le bonheur avec votre propre absence. Car celui qui est riche n'est plus là pour profiter de ses richesses, de telles richesses sont vaines. Et il n'est point de paysage découvert du haut des montagnes si nul n'en a gravi la pente, car ce paysage n'est point spectacle mais domination. Et si l'on t'a porté là-haut dans la litière tu ne vois qu'ordonnance de choses plus ou moins fades, mais comment les épaissirais-tu de ta substance? Car le paysage, pour celui-là qui croise les bras sur sa poitrine avec satisfaction, est mélange de souffle et de repos des muscles après l'effort, et du bleuissement du soir, il est aussi contentement de l'ordre fait, car chacun de ses pas a un peu ordonné ces fleuves, rangé ces sommets, reculé ce gravier du village. Ce paysage est né de lui, et la joie que je lui découvre est la joie même de l'enfant qui, ayant rangé des cailloux, a bâti sa ville et s'en émerveille, la remplit de lui. Mais quel enfant serait heureux de regarder un tas de pierres qui n'est que spectacle sans effort?
Je les ai vus, ceux qui ont souffert de la soif, la soif, la jalousie de l'eau, plus dure que la maladie, car le corps connaît son remède et l'exige comme il exigerait la femme, et voit en songe les autres boire. Car on voit la femme qui sourit aux autres. Rien n'a de sens si je n'y ai mêlé mon corps et mon esprit. Il n'est point d'aventure si je ne m'y engage. Mes astrologues, s'ils considèrent la Voie Lactée, à cause des nuits de leurs études, ils y découvrent le grand livre dont les pages craquent superbement quand on les tourne, et ils adorent Dieu d'avoir rempli le monde d'une moelle si poignante pour le cœur.
Je vous le dis: vous n'avez le droit d'éviter un effort qu'au nom d'un autre effort, car vous devez grandir.
XXXII
Cette année-là mourut celui qui régnait à l'est de mon empire. Celui-là que j'avais durement combattu, comprenant après tant de luttes que je m'appuyais sur lui comme contre un mur. Je me souviens encore de nos rencontres. On dressait une tente pourpre dans le désert, qui demeurait vide, et nous nous rendions l'un et l'autre sous cette tente, nos armées demeurant à l'écart, car il est mauvais que les hommes se mélangent. La foule ne vit que dans son ventre. Et toute dorure s'écaille. Ainsi nous regardaient-ils jalousement, appuyés sur la caution de leurs armes, et non point attendris d'un attendrissement facile. Car il avait raison, mon père qui disait: «Tu ne dois point rencontrer l'homme dans sa surface mais au septième étage de son âme et de son cœur et de son esprit. Sinon, à vous chercher dans vos mouvements les plus vulgaires, vous en venez à verser inutilement le sang.»