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Car j'ai découvert une grande vérité. A savoir que les hommes habitent, et que le sens des choses change pour eux selon le sens de la maison. Et que le chemin, le champ d'orge et la courbe de la colline sont différents pour l'homme selon qu'ils composent ou non un domaine. Car voilà tout à coup cette matière disparate qui s'assemble et pèse sur le cœur. Et celui-là n'habite point le même univers qui habite ou non le royaume de Dieu. Et, qu'ils se trompent, les infidèles, qui rient de nous, et qui croient courir les richesses tangibles, quand il n'en est point. Car s'ils convoitent ce troupeau c'est déjà par orgueil. Et les joies de l'orgueil elles-mêmes ne sont point tangibles.

Ainsi de ceux qui croient le découvrir en le divisant, mon territoire. «Il y a là, disent-ils, des moutons, des chèvres, de l'orge, des demeures et des montagnes — et quoi de plus?» Et ils sont pauvres de ne rien posséder de plus. Et ils ont froid. Et j'ai découvert qu'ils ressemblent à celui-là qui dépèce un cadavre. «La vie, dit-il, je la montre au grand jour: ce n'est que mélange d'os, de sang, de muscles et de viscères.» Quand la vie était cette lumière des yeux qui ne se lit plus dans leur cendre. Quand mon territoire est bien autre chose que ces moutons, ces champs, ces demeures et ces montagnes, mais ce qui les domine et les noue. Mais la patrie de mon amour. Et les voilà heureux s'ils le savent, car ils habitent ma maison.

Et les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l'espace. Car il est bon que le temps qui s'écoule ne nous paraisse point nous user et nous perdre, comme la poignée de sable, mais nous accomplir. Il est bon que le temps soit une construction. Ainsi, je marche de fête en fête, et d'anniversaire en anniversaire, de vendange en vendange, comme je marchais, enfant, de la salle du Conseil à la salle du repos, dans l'épaisseur du palais de mon père, où tous les pas avaient un sens.

J'ai imposé ma loi qui est comme la forme des murs et l'arrangement de ma demeure. L'insensé est venu me dire: «Délivre-nous de tes contraintes, alors nous deviendrons plus grands.» Mais je savais qu'ils y perdraient d'abord la connaissance d'un visage et, de ne plus l'aimer, la connaissance d'eux-mêmes, et j'ai décidé, malgré eux, de les enrichir de leur amour. Car ils me proposaient, pour s'y promener plus à l'aise, de jeter bas les murs du palais de mon père où tous les pas avaient un sens.

C'était une vaste demeure avec l'aile réservée aux femmes et le jardin secret où chantait le jet d'eau. (Et j'ordonne que l'on fasse ainsi un cœur à la maison afin que l'on y puisse et s'approcher et s'éloigner de quelque chose. Afin que l'on y puisse et sortir et rentrer. Sinon, l'on n'est plus nulle part. Et ce n'est point être libre que de n'être pas.) Il y avait aussi les granges et les étables. Et il arrivait que les granges fussent vides et les étables inoccupées. Et mon père s'opposait à ce que l'on se servît des unes pour les fins des autres. «La grange, disait-il, d'abord est une grange, et tu n'habites point une maison si tu ne sais plus où tu te trouves. Peu importe, disait-il encore, un usage plus ou moins fertile. L'homme n'est pas un bétail à l'engrais, et l'amour, pour lui, compte plus que l'usage. Tu ne peux aimer une maison qui n'a point de visage et où les pas n'ont point de sens.»

Il y avait la salle réservée aux seules grandes ambassades, et que l'on ouvrait au soleil les seuls jours où montait la poussière de sable soulevée par les cavaliers, et, à l'horizon, ces grandes oriflammes où le vent travaillait comme sur la mer. Celle-là, on la laissait déserte à l'occasion des petits princes sans importance. Il y avait la salle où l'on rendait la justice, et celle où l'on portait les morts. Il y avait la chambre vide, celle dont nul jamais ne connut l'usage — et qui peut-être n'en avait aucun, sinon d'enseigner le sens du secret et que jamais on ne pénètre toutes choses.

Et les esclaves, qui parcouraient les corridors portant leurs charges, déplaçaient de lourdes tentures qui croulaient contre leur épaule. Ils montaient des marches, poussaient des portes, et redescendaient d'autres marches, et, selon qu'ils étaient plus près ou plus loin du jet d'eau central, se faisaient plus ou moins silencieux, jusqu'à devenir inquiets comme des ombres aux lisières du domaine des femmes dont la connaissance par erreur leur eût coûté la vie. Et les femmes elles-mêmes: calmes, arrogantes, ou furtives, selon leur place dans la demeure.

J'entends la voix de l'insensé: «Que de place dilapidée, que de richesses inexploitées, que de commodités perdues par négligence! Il faut démolir ces murs inutiles, et niveler ces courts escaliers qui compliquent la marche. Alors l'homme sera libre.» Et moi je réponds: «Alors les hommes deviendront bétail de place publique, et, de peur de tant s'ennuyer, inventeront des jeux stupides qui seront encore régis par des

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