Sarah Leroy n’a pas croisé Angélique pour la première fois en classe de seconde B au collège-lycée Victor-Hugo. Elles ne se sont pas naturellement détestées au premier regard parce que « tout les opposait », comme cela a été affirmé dans les médias quand Angélique a été placée en garde à vue. Angélique et Sarah se sont rencontrées dans un cimetière quand elles avaient sept ou huit ans. Et sans doute ne se seraient-elles en effet jamais rapprochées si cette première rencontre s’était faite dans d’autres circonstances. Il est vrai qu’elles n’avaient rien en commun. Par cela, j’entends que Sarah était une fille de bourgeois tandis que les parents d’Angélique étaient endettés jusqu’au cou. Les cimetières sont toutefois des terrains neutres et générateurs d’empathie, raison pour laquelle elles ont pu faire connaissance sans idées préconçues. Contrairement à Angélique, Sarah avait une bonne raison d’être dans le cimetière de Bouville-sur-Mer ce jour-là : on y enterrait sa mère. Angélique, quant à elle, était là parce que, je cite, « elle adorait les cimetières ». Personnellement, j’aurais jugé ce hobby plutôt inquiétant, mais Sarah ne s’en est pas formalisée.
Sarah était dans cette phase du deuil qu’on appelle le déni. Elle sortait du sommeil tous les matins, persuadée d’avoir fait un mauvais rêve, tout étonnée d’être réveillée par la sonnerie stridente du réveil plutôt que par les bras chauds de sa mère. Son père, Bernard Leroy, a dû la traîner en pleine crise de nerfs à la messe funéraire. Elle sanglotait si fort qu’on n’entendait pas le prêtre. Sa grand-mère s’est résignée à la sortir de l’église et Sarah est partie en courant. Ses pas l’ont spontanément emmenée au cimetière. Si vous n’êtes jamais allés à Bouville-sur-Mer, sachez que ce cimetière existe encore. Il est perché en haut d’une falaise blanche qui tombe à pic dans la Manche, pas très loin du cap Gris-Nez. Les jours de beau temps, on voit jusqu’en Angleterre.
Assise en tailleur sur une pierre tombale, à côté d’un mausolée recouvert de mousse, Angélique portait un ciré jaune trop grand pour elle. Le premier sentiment que Sarah a ressenti à l’égard d’Angélique a été une jalousie violente, comme un coup de poing dans le ventre, à l’idée que la mère d’Angélique avait dû lui crier de se couvrir avant de partir. Certaines personnes avaient encore une maman aimante qui se préoccupait de leur éviter une broncho-pneumonie. Pas Sarah. La vie était trop injuste. Sarah allait cependant vite apprendre que les parents d’Angélique n’étaient pas du genre à se préoccuper de choses aussi bassement futiles qu’une broncho-pneumonie. Mais sur le moment, ce ciré d’adulte lui est apparu comme le symbole de l’amour immense qui venait de lui être arraché. Ses larmes ont redoublé. De rage, elle a lancé un caillou en direction de cette inconnue qui ne connaissait pas sa chance. Angélique s’est retournée. Elle a examiné longuement Sarah tandis que celle-ci sanglotait. Puis, elle s’est levée de sa pierre tombale, l’a prise dans ses bras et l’a serrée très fort contre elle. Elle sentait la mer et le chocolat chaud. Sarah a senti sa respiration s’apaiser. Elle est restée un long moment dans les bras de cette petite fille qu’elle ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam et qui était néanmoins la première à lui apporter un semblant de réconfort.
— Qui est mort ? a demandé Angélique en parcourant du regard la robe et les collants noirs de son interlocutrice.
— Maman, a murmuré Sarah.
— Oh. Désolée.
Un silence s’est installé, puis Sarah a balbutié entre deux sanglots :
— Sais-tu qui était la première femme à traverser la Manche à la nage ?
Angélique a secoué la tête. Elle ne voyait pas le rapport.
— Gertrude Caroline Ederle, en 1926. Une Américaine. Elle est partie du cap Gris-Nez et est arrivée à Douvres en quatorze heures et trente et une minutes. Elle a battu le record du monde masculin de l’époque d’une heure cinquante-neuf. C’est Maman qui m’a raconté ça. Elle savait tant de choses intéressantes.
Bien qu’elle n’ait pas trouvé l’information particulièrement passionnante, Angélique a hoché la tête, impressionnée par cet étalage de culture aussi inutile qu’étrange compte tenu des circonstances. Elle a ensuite pris la main de Sarah et l’a regardée avec grand sérieux.
— Je suis désolée, la vie est vraiment atroce, surtout pour les filles. La seule solution, c’est la solidarité, c’est Fanny qui me l’a dit.
— C’est qui Fanny ?
— Ma grande sœur.
Sarah n’avait pas la moindre idée de ce que le terme « solidarité » signifiait, mais il sonnait comme une succession de notes de musique, une gamme pleine d’espoir dont elle avait bien besoin en ces temps difficiles, elle a donc proposé à Angélique :
— Tu pourrais venir avec moi à l’enterrement ?
— Oui, carrément ! s’est exclamée celle-ci, comme si on venait de lui proposer d’aller manger une glace.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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