Le père de Sarah possédait le club nautique et l’unique hôtel de Bouville-sur-Mer (il existe toujours, il se trouve juste après la jetée, vous ne pouvez pas le rater), trois restaurants à Wimereux, un à Audinghen, deux à Audresselles et quatre ou cinq gîtes touristiques sur la côte d’Opale. Il avait tout hérité de son beau-père, parti de rien pour construire ce mini-empire de la moules-frites à la sueur de son front. Bernard Leroy était donc devenu riche sans le moindre effort, si ce n’est celui d’avoir épousé la bonne personne. Son principal talent consistait à savoir bien s’entourer et à recruter avec soin, puis exploiter ceux qui géreraient ses biens le mieux possible. Sans être véritablement un escroc, puisqu’il eût fallu pour cela un courage qu’il ne possédait pas, il avait une personnalité malléable et se laissait porter par les flots, là où le courant de sa lâcheté le menait. Il a fini, sans surprise, par faire de la politique. Je me permets cette présentation de notre bien-aimé maire de Bouville-sur-Mer, car il a malgré tout joué un rôle dans cette histoire. Vous comprendrez mieux aussi pourquoi il est si important pour moi de rester anonyme.
Dans un premier temps, Angélique a accueilli l’amitié de Sarah comme un dû, sans une quelconque reconnaissance. Il faut préciser qu’Angélique attirait alors les gens comme un aimant. C’était prodigieusement agaçant. La façon dont les regards s’adoucissaient en se posant sur elle était stupéfiante. Son sourire avait le pouvoir de générer l’amour, du moins jusqu’à l’histoire du hangar à bateaux. Puisque ce texte doit établir la vérité, j’admets que j’ai longtemps été jalouse du charme d’Angélique. J’aimerais vous dire que c’était grâce à sa personnalité, son intelligence ou son humour qu’elle suscitait une telle admiration, mais ce n’était pas le cas. Elle était simplement tout ce qu’on attend d’une petite fille de son âge : très jolie et à peu près sage, en apparence, tout du moins, puisqu’elle avait un don inégalable pour le mensonge. Cette fascination des gens pour Angélique a commencé très tôt : les compliments, les petits cadeaux de la part des commerçants du coin, une chouquette à la boulangerie, une tranche de saucisson chez le charcutier, « Tu es si belle, tu n’as pas envie d’un petit morceau de Maroilles ? » chez le fromager, et un abricot offert par le maraîcher… Si bien que, quand elle allait faire les courses, elle mangeait pour la journée. Tout le monde y allait de son compliment : ses yeux si bleus, ses cheveux si blonds, et ses traits si fins, sans même parler du sourire, « une vraie Lolita »… et Angélique souriait, fière de ce surnom, trop inculte pour s’offusquer de cette comparaison parfaitement déplacée avec l’héroïne de Nabokov, manipulée et violée par son beau-père pédophile.
L’amitié d’Angélique et Sarah était simple. Elles s’attendaient au coin de la rue pour parcourir ensemble le trajet jusqu’à l’école, elles allaient à vélo à la plage, faisaient la planche sur les vagues froides et agitées de la Manche et se retrouvaient ensuite chez Angélique pour boire des chocolats chauds préparés par sa grande sœur. L’hiver, elles enfilaient en cachette les robes et les escarpins de la mère décédée de Sarah, rangés au grenier. Angélique avait insisté pour ouvrir les cartons, Sarah avait fini par céder. Sarah disait toujours oui à Angélique. Elle endossait de bonne grâce le rôle de la sorcière, de la fée ou du prince charmant et laissait toujours Angélique, prédestinée par son éclatante beauté, jouer la princesse en détresse.
Elles se téléphonaient dès qu’elles rentraient chez elles pour parler de devoirs, de dessins animés, de leur liste au Père Noël, des autocollants qui leur manquaient dans leur album Panini du Roi lion (elles n’en avaient qu’un pour deux, celui de Sarah). Elles participaient à tous les concours du Club Dorothée, votaient pour leur série préférée par téléphone ou Minitel (auquel cas, elles allaient chez Sarah, parce qu’Angélique avait reçu une gifle la première fois qu’elle avait appelé un numéro surtaxé). Jusqu’à la classe de cinquième, leur plus grande ambition était d’être appelées par la présentatrice blonde et de remporter l’un des lots, toujours merveilleux, mis en jeu ou au moins une photo dédicacée. Sarah, une fois, a gagné un baladeur rouge et bleu. Malheureusement, elle a manqué l’appel de Dorothée. Cela est longtemps resté l’un des événements les plus tragiques de sa vie d’enfant. Quant au baladeur, elle l’a donné à Angélique pour qu’elle arrête de piquer celui de sa sœur. Angélique avait cette fâcheuse tendance à toujours chiper les affaires de Fanny. Ce détail a son importance pour la suite.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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