Читаем Désenchantées полностью

Angélique était là, assise sur une tombe, vêtue de noir, portant le deuil d’elle-même que nous, les Leroy, lui avions infligé des années plus tôt. J’étais soulagée de la voir seule. Nous nous sommes observées quelques secondes, indécises. Même le piercing dans le nez et tout ce noir informe n’arrivait pas à cacher la beauté d’Angélique. Moi, je portais ce blouson en daim blanc que toutes les filles de la classe m’enviaient. Il était beau, même s’il venait d’Iris et que tout ce qui venait d’Iris me répugnait.

— Salut, a-t-elle dit.

— Salut, ai-je répondu sur la défensive. Qu’est-ce que tu veux ?

Angélique n’a pas répondu tout de suite. Elle s’est assise sur la pierre tombale la plus proche et a sorti une cigarette et un briquet. Elle a dû s’y reprendre à plusieurs fois pour l’allumer à cause du vent d’octobre qui soufflait ce soir-là.

— Je suis venue chez toi parce que je voulais qu’on règle cette dispute. Ça fait trop longtemps que ça dure.

Je n’ai pas répondu, elle me dévisageait en soufflant sa fumée avec une certaine lassitude, comme on examine une énigme insoluble.

— Tu te souviens de ce qu’on s’était promis ? a-t-elle continué. Que même si on ne se parlait pas pendant des années, il suffirait qu’on vienne sonner l’une chez l’autre pour reprendre la conversation là où on l’avait laissée des années plus tôt, comme si on s’était vues la veille ? Alors voilà, je te propose qu’on reprenne la conversation la veille de l’anniversaire d’Éric et qu’on oublie tout ce qui s’est passé depuis.

Je n’ai pas su quoi répondre. Pas parce que je n’étais pas tentée ; cette proposition, c’était le cadeau le plus extraordinaire que personne m’ait jamais fait, mais c’était trop beau pour être vrai. Et pourtant, au fond de moi, je le savais depuis toujours. Elle avait beau avoir brûlé ses icônes de saintes dans l’évier de sa cuisine, depuis toute petite, Angélique possédait cette humanité-là, celle de ceux qui savent vraiment pardonner.

Nous nous sommes fixées de longues secondes. Lentement, j’ai sorti les mains de mes poches et je suis venue m’asseoir à côté d’elle, non sans laisser un espace entre nous.

— Je peux avoir une taffe ? ai-je demandé.

— Je croyais que tu ne fumais pas.

— Je ne fume pas.

Elle m’a tendu sa cigarette. J’ai aspiré une bouffée et immédiatement je me suis mise à tousser. Je n’avais jamais fumé, j’avais trop peur que ça impacte la natation.

Le silence s’est installé entre nous. Pas un silence inconfortable que nous nous serions efforcées de meubler, le silence naturel de ceux qui se connaissent suffisamment bien pour ne pas avoir besoin de parler. J’ai entouré mes genoux de mes bras, j’ai fermé les yeux et j’ai sorti d’une traite :

— Je suis désolée.

Elle a hoché la tête, elle fixait la mer dans le lointain. Le jour commençait à tomber et avec lui des ombres envahissaient le cimetière, baignant dans l’obscurité les recoins des tombes. Il était inutile de préciser tout ce pour quoi j’étais désolée. De ne pas l’avoir crue, de ne pas l’avoir défendue. De l’avoir punie d’avoir parlé en lui retirant mon amitié.

— Pour ma défense, à l’époque, Benjamin a confronté Éric qui a nié en bloc. Je l’ai cru. Je ne pensais pas qu’il était capable… enfin, tu vois.

— Et maintenant ?

— Maintenant, je sais.

Un soupir m’a échappé malgré moi, un petit souffle de désespoir à peine perceptible. Machinalement, j’ai parcouru du regard les tombes alignées autour de moi, comme si Éric avait pu être là, tapi dans l’ombre à nous observer. Les visites d’Éric la nuit, dans ma chambre, je n’en avais jamais parlé à personne. Pas même à moi-même. C’était quelque chose qui ne me concernait pas, qui concernait éventuellement mon corps quand mon âme n’y était plus. Parler de ça, c’était se jeter dans un précipice. Pourtant, si une personne au monde pouvait comprendre, c’était bien elle.

J’avais parlé si bas que je me suis demandé si elle m’avait entendue. Et avec ce « maintenant je sais », et tout ce qu’il contenait, j’ai eu impression qu’un poids s’envolait de mes épaules pour venir se poser sur les siennes. J’ai vu ses mâchoires se contracter.

— Je suis désolée, a-t-elle dit d’une voix étranglée, je suis tellement désolée.

Elle n’avait pas à s’excuser pour lui, mais elle a franchi l’espace que j’avais mis entre nous sur la pierre tombale et elle m’a serrée contre elle, comme le jour de l’enterrement de ma mère. J’aurais dû savoir qu’une petite fille qui m’avait prêté son Walkman pour atténuer mon chagrin avec Axelle Red était forcément quelqu’un sur qui je pouvais compter. Cela faisait des années que personne ne m’avait prise dans ses bras de cette manière, avec amour. Elle pleurait. Moi, je suis restée raide et silencieuse, aussi imperméable aux émotions que les stèles qui nous entouraient.

— Tu ne dois rien dire, elle me tuera si elle sait que j’en ai parlé.

Angélique a desserré son étreinte et je lui ai tendu un paquet de mouchoirs en papier.

— Qui ça « elle » ? a-t-elle demandé en se mouchant.

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