La première année, j’ai été femme de ménage et serveuse dans les bars les plus sordides de New York, j’ai dormi dans des squats, dans le métro, dans la rue. En dépit de mon passeport au nom de Fanny Courtin, je me suis toujours fait appeler Sarah. C’était tout ce qu’il me restait de mon enfance et je ne pouvais envisager de renier le prénom que ma mère m’avait choisi. Je n’avais ni permis de travail ni assurance maladie. J’ai accepté les salaires de misère et les conditions de travail extrêmes des immigrants illégaux. De temps en temps, je passais dans un cybercafé et j’envoyais un e-mail de nouvelles à Angélique. Un jour, Sam, un jeune collègue du restaurant où je servais l’eau de dix-huit heures à trois heures du matin sans interruption sept jours sur sept, m’a proposé une chambre qui venait de se libérer dans sa coloc du Bronx. Je pouvais payer cash. Sam avait hérité l’appartement de sa grand-mère et sous-louait la chambre. Il me connaissait et ne m’a demandé aucune garantie particulière. Peut-être a-t-il simplement compris que j’avais besoin d’aide. Sam était homosexuel, dans sa famille, ça ne se faisait pas. J’étais clandestine, nous nous sommes mariés pour les papiers et j’ai pris son nom. Nous avons vécu ensemble dix ans, jusqu’à ce que, lassée de New York, je décide d’aller vivre en Californie et que Sam, qui avait trouvé l’amour de sa vie, me propose un divorce pour épouser l’élu de son cœur. La mer me manquait trop. Grâce à Sam, j’avais désormais un permis de travail et un compte en banque, mais je n’ai jamais osé demander officiellement la nationalité américaine. De toute évidence, je ne pouvais pas me permettre de faire une demande d’extrait d’acte de naissance à la mairie de Bouville-sur-Mer où mon père sévissait toujours.
Il y a quatre personnes dans ce monde qui savent que je suis vivante : Angélique, Morgane, Jasmine et le vieux René qui connaissait tout ou presque de ma situation et qui s’est toujours comporté avec moi comme un père. Il avait déjà perdu sa fille, je ne pouvais pas lui imposer un deuxième deuil. Ils ne m’ont jamais trahie. Même quand la police a interrogé tous les élèves de ma classe, même quand ils ont accusé René à qui j’avais donné ma médaille en souvenir avant de partir, même quand Éric a été arrêté, puis condamné. Même quand cela signifiait aller à l’encontre de toutes leurs convictions et de leur définition de la justice, comme pour Morgane. Ils m’ont protégée. Au nom de la solidarité, les Désenchantées m’ont offert tout leur temps, leur énergie et leur argent, alors qu’elles ne me devaient rien. J’ai beau avoir eu peu de contacts avec Morgane, Jasmine et René après cette histoire, je leur serai éternellement reconnaissante. Ils m’ont sauvé la vie et m’ont redonné foi en l’humanité.
Je regrette la peine que j’ai infligée à ceux qui ont souffert de ma disparition et ont dû porter mon deuil, à mon père, malgré tout, à mon amie, Julie Durocher, et surtout à mon frère Benjamin. Mais être considérée comme morte, c’était être libre, le plus sûr moyen que personne ne me cherche. J’avais prévu de contacter Benjamin, une fois en sécurité aux États-Unis. Cependant, je ne vais pas prétendre être meilleure que je ne le suis : quand Éric a été arrêté, dès que j’ai compris que j’avais l’opportunité de détruire sa vie et celle d’Iris comme ils avaient détruit la mienne, je l’ai saisie sans hésiter une demi-seconde. J’ai sacrifié Benjamin parce que j’étais certaine que, s’il me savait vivante, il n’aurait pas laissé Éric partir en prison.
Dans une interview que j’ai trouvée récemment sur Internet, Morgane a expliqué que l’échec de la justice, ce n’est pas que des coupables soient remis en liberté faute de preuve, mais que des innocents soient condamnés à tort. Je ne suis pas d’accord. Pour moi, l’échec de la justice, c’est l’impunité des coupables. Notre monde est peuplé de criminels en liberté qui ne verront jamais l’intérieur d’une salle de tribunal, qui vivront heureux et sereinement et dont on fleurira les tombes de bouquets et de discours élogieux le jour venu alors qu’ils ont détruit des vies d’enfants. Moi, cette constatation me rend malade. Elle me donne envie de tout brûler. L’impunité se nourrit de nos silences, des secrets honteux de nos familles, des « ça ne nous regarde pas », des yeux qu’on choisit de détourner par lâcheté ou par peur des conséquences, des plaintes jamais portées parce que
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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