— Attends ! Je ne vais pas te manger ! Je regrette de m’être si mal conduit avec toi. Je sais, ce ne sont pas des manières que de te courser ainsi, mais nous n’avions pas le choix ! Rien ne t’empêche de me jeter un sort ; je sais que tu pourrais parfaitement me réduire en cendres ou m’emprisonner dans une toile d’araignée ou toute autre chose de ce genre. Je connais les magiciens. Mais s’il te plaît, écoute-moi. Et aide-nous. Je t’ai entendu parler de deux de nos amis, un grand guerrier et une jolie rousse. Tu disais qu’il avait failli mourir, et que son frère l’avait trahi. Nous voudrions les retrouver. Peux-tu nous dire où ils sont ?
L’homme hésita.
Tanis se fit plus pressant, déterminé à ne pas lâcher la seule personne qui puisse les aider.
— J’ai vu la femme qui était avec toi, et j’ai entendu ce qu’elle disait. C’est une elfe marine, n’est-ce pas ? Tu l’as dit, je suis un demi-elfe. J’ai été élevé chez les elfes et je connais leurs légendes. Dans le monde d’en haut, la guerre fait rage. Mais elle ne se limitera pas à la surface. Si la Reine des Ténèbres est victorieuse, sois sûr qu’elle apprendra que les elfes marins se cachent ici. Je ne sais s’il existe des dragons dans l’océan, mais…
— Les dragons marins existent, demi-elfe, dit une voix.
La femme elfe avait refait surface. Comme un éclair vert et argent, elle glissa dans les flots sombres et vint s’accouder sur la dernière marche. Elle darda ses yeux verts sur Tanis.
— Des rumeurs annonçant leur retour nous sont parvenues. Mais nous n’y avons pas cru. Nous ne savions pas que les dragons s’étaient réveillés. À qui la faute ?
— Est-ce si important ? répondit Tanis. Ils ont détruit la patrie de nos ancêtres. Le Silvanesti est devenu un pays de cauchemar. Les elfes du Qualinesti ont été chassés de chez eux. Les dragons brûlent et tuent tout. Ils n’épargnent personne. La Reine des Ténèbres n’a qu’un seul but : dominer le monde entier et le plus humble des êtres vivants. Êtes-vous en sécurité, même ici ? Car je suppose que nous nous trouvons sous la mer ?
— C’est exact, demi-elfe, soupira l’homme en rouge. Vous êtes sous la mer, dans les ruines de la cité d’Istar. Les elfes marins qui vous ont sauvés vous ont amenés ici, comme tous les naufragés. Je sais où sont tes amis, et je peux t’y conduire. En dehors de ça, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour vous.
— Fais-nous sortir d’ici, dit Rivebise, qui commençait à comprendre. Dis-moi, Tanis, qui est cette femme ?
— C’est une elfe marine. Elle s’appelle…
— Apoletta, répondit l’elfe en souriant. Excusez-moi de me présenter ainsi, mais nous ne portons aucun vêtement, contrairement aux KreeQuekh. Même après des années, je ne suis pas parvenue à convaincre mon époux de retirer cette tenue ridicule quand il est sur la terre ferme. Il appelle cela de la pudeur. Cela ne vous gênera donc pas que je reste dans l’eau.
Tanis, rougissant, traduisit ces paroles à ses amis. Lunedor ouvrit de grands yeux. Perdu dans son rêve, Berem semblait n’avoir rien entendu. Rivebise resta impassible. Quand il s’agissait des elfes, rien ne pouvait le surprendre.
— Les elfes marins nous ont sauvés la vie, poursuivit Tanis. Comme pour tous les elfes, la vie est sacrée, et ils secourent tous ceux qui se noient. Cet homme, son époux…
— Zebulah, dit celui-ci en tendant la main.
— Je suis Tanis Demi-Elfe, voici Rivebise et Lunedor de la tribu des Que-Shu, et Berem… heu…
Tanis ne sut ce qu’il devait ajouter.
Apoletta leur adressa un bref sourire.
— Zebulah, dit-elle, va chercher les amis dont le demi-elfe a parlé et ramène-les ici.
— Nous pourrions t’accompagner, offrit Tanis. Si tu as cru que je voulais t’avaler, nul doute que Caramon produise sur toi la même impression…
— Non, dit Apoletta. Envoie les deux barbares, toi, tu resteras ici. Je voudrais te parler et en savoir plus sur la guerre qui nous menace. Je suis triste d’apprendre que les dragons se sont réveillés. Si c’est le cas, je crains que tu aies raison. Notre monde n’est plus en sécurité.
— Je serai bientôt de retour, mon aimée, dit Zebulah.
Apoletta tendit la main à son époux, qui la baisa tendrement.
Lunedor et Rivebise partirent avec Zebulah à la recherche de Caramon et de Tika. Tout au long de la route, leur guide leur présenta les endroits où ils passaient.
— Vous voyez, expliqua-t-il, quand les dieux ont déchaîné la montagne sur Krynn, Istar s’est transformée en un immense cratère. L’océan s’est engouffré dans l’espace vide, créant la Mer de Sang. Plusieurs édifices ont résisté, formant des poches d’air dans lesquelles les elfes logent les marins rescapés des naufrages. La plupart s’y sentent comme chez eux.
Le mage parlait avec une pointe de fierté qui amusa Lunedor, bien qu’elle fût trop bonne pour le laisser paraître.
— Mais toi, tu es un humain, et non un elfe marin. Comment peux-tu vivre ici ? demanda-t-elle.
Le mage sourit.