— Toujours exact, approuve le domestique marron.
— C’est la suite que je ne pige pas bien…
— C’est pourtant facile. Embroktaviok avait décidé de mettre la môme en l’air ; elle était intelligente et aurait pu trouver bizarre la disparition de son Boris.
— Alors vous avez tendu une embuscade à Enghien pour canarder sa M.G. quand elle rentrerait à Paris ?
— Oui. Seulement le sort s’en est mêlé. Votre voiture à vous est tombée en panne. Monique a eu peur des complications.
— Quelles complications ?
— Elle devait aller chercher Alliachev rue des Frères-Zonêtes pour l’emmener à Marseille. Si vous ne partiez pas de la nuit, c’était fichu, du moins pour son optique à elle. Elle a pris peur ; une gonzesse, vous savez comment c’est ! Alors elle vous a refilé sa chiotte.
— Et c’est moi qui ai été canardé à sa place, dis-je.
— Hélas oui.
— Dire que j’ai cru, ensuite, qu’on avait intentionnellement bricolé ma propre voiture.
— Sûrement pas. Cette panne a tout fichu dans le merdier, soupire Ferdinand.
Je réfléchis.
— Que s’est-il passé ensuite avec Monique ?
— Un drôle de truc. Alliachev n’avait pas les documents. Les patrons l’ont un peu bricolé, et il a fini par avouer que c’était Monique qui les détenait. Monique, on la croyait ficelée, puisque la M.G…
Je rigole.
— Vous avez dû pousser une drôle de bouille quand vous vous êtes aperçus de votre méprise ?
— Vous pensez. Mais dans un sens, ça nous arrangeait, car il fallait qu’on mette la main sur les documents.
— Alors vous avez emmené Monique rue des Frères-Zonêtes ?
— Oui.
— Et elle vous a dit qu’elle avait planqué la bonne marchandise chez son père à la cambrousse ?
— Oui.
— Et par manque de pot, le vieux, écœuré par la vie en général et celle de sa fille en particulier, venait de se suicider. Ça compliquait les recherches. Mais vous êtes tout de même allés à Courmois-sur-Lerable, de nuit. La maison était vide ; vous avez pu récupérer les documents. Vous avez ensuite étranglé la gosse. Vous l’avez mise dans le cercueil de son dabe. De cette manière, elle disparaissait sans laisser de trace et, vis-à-vis des gens de Barcelone, c’était elle qui portait le chapeau. Les autres croiraient qu’elle avait disparu avec les documents…
— En effet…
— Quand on découvrirait la carcasse du vieux, beaucoup plus tard,
Ferdinand a un mauvais sourire.
— Je vois que vous pigez tout.
Le Gros lui vote une nouvelle torgnole.
— Pour qui tu te prends, macaque ! fait-il. Tu t’imagines que not’ intelligence vaut pas la vôtre !
— Ce qui vous a perdus, dis-je, vraiment perdus, ç’a été la visite d’Annette à
Il sourit.
— Les femmes, toujours…
— Misogyne ? je ricane.
— Votre visite du matin lui a fait peur. Elle s’est dit que vous alliez découvrir le pot aux roses. D’autant plus que Mme Godemiche était très tourmentée et faisait que nous questionner. Alors elle s’est envoyé un télégramme, comme quoi il fallait qu’elle aille auprès de sa mère…
— A Marseille ?
— Elle croyait que dans une grande ville, il lui serait plus facile de se planquer. Elle est allée trouver les patrons pour leur demander du fric… Un coup de chantage, quoi !
— Ils lui en ont donné ?
— Ils n’étaient pas là, c’est Igor, le maître d’hôtel, qui lui a fait une avance. Elle est partie. Seulement Igor s’est rendu compte que vous l’aviez repérée. Il a téléphoné à Embroktaviok. Celui-ci lui a ordonné de rattraper la gosse coûte que coûte au train. C’était trop risqué de la laisser filer…
Cette fois j’ai tous les éléments. Enfin presque tous !
— Que fichez-vous dans cette maison ?
Ferdinand renaude.
— Une idée d’Annette. Quand on lui a remis la main dessus, elle nous a parlé de cette maison. Elle a prétendu qu’on y serait mieux pour cacher Madame et nous planquer. Comme les choses se gâtaient, Embroktaviok a accepté. Toutefois il a voulu qu’Annette demeure avec lui. Il avait peur qu’elle flanche tout à fait…
— Pourquoi Embroktaviok n’est-il pas parti de Paris en même temps que vous ?
— Parce qu’il attendait une réponse de Berlin au sujet des documents. Il les a proposés à un organisme germano-russe. Si l’affaire se fait, il ira les porter en Allemagne pour ramasser le gros paquet…
J’enrage. Dans le fond, on a détruit toute l’organisation, sauf son chef. Et c’est le chef qui a en sa possession la camelote qui nous intéresse.
— Programme ? demande le Gros éternellement soucieux de son avenir immédiat.
Les événements répondent à ma place. Je perçois une sorte de remue-ménage au-dessus. Je m’élance. Décidément mes jours dans les caves ne me sont pas profitables, car il se passe toujours des trucs au rez-de-chaussée pendant ce temps.