Nous descendons tous à la cave, moi, Ferdinand, le Gros et ses onze huîtres.
CHAPITRE XVIII
J’EN APPRENDS DE MOINS EN MOINS BELLES
Voilà-t-il pas que M. Ferdinand, ex-videur de pot de chambre de la belle veuve Godemiche, se met à faire des manières ? Voilà-t-il pas que môssieur minaude, renaude et prétend jouer les carpes du Roi-Soleil ! Après tout ce qui s’est passé, il a tort, le frelot !
Béru me consulte d’un noir regard.
Alors le gars San-A. se lance dans le sérieux.
J’ouvre la porte supérieure de la chaudière du chauffage central. Je ceinture mon larbin et je fais signe à Bérurier le preux de lui choper les flûtes. Voilà M. « Madame est servie » à l’horizontale.
— Ecoute, julot, lui dis-je. Ou tu te mets à table, ou je te fais bronzer le cuir dans cette chaudière.
— Vous n’allez pas faire ça, qu’il soupire, le copain.
En guise de réponse, j’approche sa frime du foyer. Il sent la chaleur s’intensifier et ses crins se mettent à roussir.
— Voyons, Ferdinand, lui susurré-je, il y a des moments où il faut comprendre de quel côté se trouve son intérêt. Amicalement, je peux te dire qu’il n’est pas à l’intérieur de cette Idéal-Classique…
— Assez causé ! bougonne le Gros en poussant de son côté.
La lueur du feu empourpre son beau visage à Béru. Ses huîtres restituent l’eau de mer qu’elles contiennent et un filet de flotte dégouline de ses poches.
— Toujours pas décidé ? demandé-je au larbin. O.K., tu l’auras voulu.
Il pousse alors un grand cri qui nous déchire le tympan dans le sens de la largeur :
— Arrêtez !
On le colle dans l’un des fauteuils, Béru s’empare d’un tisonnier qu’il plonge dans les braises rougeoyantes. L’autre regarde, hébété. Cette fois, il pige qu’il se trouve devant des gens qui prennent la vie très au sérieux. Il est désenchanté. C’est scié. Il n’a plus qu’à s’affaler. L’espoir, ça sera pour après…
Alors, en termes hachés, il nous raconte l’histoire. Et nous l’écoutons religieusement.
Il a toujours mené une existence de traîne-galoche, Ferdinand. C’est un de ces êtres bons à nibe qui se figurent que le fric est fait pour être piqué dans les poches des autres.
Après bien des périphéries (comme dit Béru), il a fait la connaissance de l’équipe Embroktaviok-Félareluir.
Ces messieurs arrivaient d’Allemagne où ça sentait le brûlé pour leurs pommes. Ils organisaient un petit groupe spécialisé dans le négoce des documents et ils avaient racheté ce restaurant ruski pour avoir une façade.
Car ils tenaient beaucoup à ce que tous les membres de l’organisation aient officiellement une vie irréprochable. C’est pourquoi, par exemple, lui, Ferdinand, marnait chez Mme Godemiche.
— Annette faisait partie de l’organisation ? coupé-je.
— Ces derniers temps, oui. Je l’ai connue en service. Je suis devenu son amant et j’ai fini par la mettre dans le coup.
— Tu lui as rendu un fier service, soupiré-je, en songeant à la pauvre gosse allongée sur les pavetons de l’impasse.
L’autre ne sourcille pas et continue son historiette. La bande Embroktaviok était en cheville avec celle d’Alliachev à Barcelone. Aussi, lorsque Alliachev venait à Paris, fréquentait-il
Lors de son dernier voyage, il avait procédé comme d’ordinaire, bien que ça ne soit pas avec la bande de Ferdinand qu’il ait affaire pour l’achat des documents volés au ministère.
Je pige tout ! Et, vous savez comment je suis, j’éprouve le besoin d’épater l’assistance.
— Alliachev a fait des confidences aux gars de ton groupe. Ceux-ci ont eu l’idée d’une opération sans bavures : lui chouraver les plans. Exact ?
— Exact, acquiesce l’escogriffe.
— Continue, tu m’intéresses…
— Alliachev avait une maîtresse, en France…
— Monique de Souvelle ?
— Juste ! On s’est dit qu’il fallait opérer en souplesse pour ne pas se mettre à dos les patrons d’Alliachev… C’est vous, en quelque sorte, qui nous en avez fourni l’occasion.
— Eurêka ! clamé-je.
Le Gros qui n’avait pas lâché son tisonnier pousse un cri en s’apercevant que le fer est un bon conducteur de la chaleur. Ses pauvres huîtres finissent de s’égoutter…
— Eurêka, répété-je, je viens de tout saisir…
— Ah oui ? ricane l’endoffé.
— Oui, mon bijou. Alliachev s’est rendu compte que je le filais. Vous lui avez alors proposé une combine pour me neutraliser. Sa poule et Félareluir me jouaient la comédie. Pendant ce temps, lui s’esbignait. Il a accepté avec reconnaissance, pensant que vous étiez sincères. Ça vous permettait de le liquider après lui avoir scrafé les documents. Vous, vous pouviez opérer peinardement, vous étiez débarrassés à la fois de la poule et du flic…
— Bravo, commissaire, fait le Ferdinand qui reprend de l’assurance.
Béru le remet dans l’ambiance d’une mornifle qui lui fait éclater le pif…
— Soyons sérieux, dit le Gros, doctoral, en essuyant sa main éclaboussée.
— Il était convenu avec Monique qu’elle me conduirait chez la mère Godemiche dont la propriété était disponible. Ça offrait l’avantage de nous éloigner plus longtemps de Paris…