Je débouche dans le corridor. D’un coup d’œil j’embrasse la scène : la porte donnant sur la rue est ouverte. Pinaud gît sur le carreau, assommé d’un coup de crosse de pétard, estimé-je. Son bada est à l’autre bout du couloir et une vilaine plaie zigzague sur son cuir… Il a son feu à la main. Je le saisis pour remplacer le mien dont le magasin est vide.
Je me rue dans la rue. Une bagnole décarre… C’est une Simca Bertone, rouge sang.
« Cette fois, me dis-je, mon San-Antonio chéri, tu n’as pas le droit de louper ta cible. »
Je vise les boudins arrière de la charrue.
Zoum ! Pif ! Boum ! Paf !
Quatre pruneaux…
Les deux pneus arrière de la Simca éclatent l’un après l’autre. L’auto décrit une embardée terrible et s’écrase contre un mur où un colleur d’affiches célébrait les mérites du dernier sorti des yaourts Bédiglas : le velouté du pétrole. Le mec tombe assis dans son pot de colle et se met à baver de frousse sur son pinceau. Pendant ce temps, Embroktaviok (car c’est lui) s’extrait de la voiture sinistrée et défouraille.
Les pralines sifflent à mes oreilles. Je continue de foncer. Comprenant qu’il va être râpé, le zigoto prend des longues jambes à son long cou et s’emmène promener dans Epernay, charmante petite cité célèbre pour ses caves, son musée du champagne et son buffet gastronomique.
Je me rappelle opportunément que j’ai obtenu une médaille d’argent aux derniers jeux olympiques et je m’élance… C’est la grande corrida. Je ne gagne pas de terrain, mais je n’en perds pas non plus… On prend une rue, deux rues, trois rues et l’on s’adjuge un bol d’air.
Cet enviandé a eu une sale inspiration (pour lui), il a pris une voie très passante.
Je mugis :
— Arrêtez-le !
Aussitôt, c’est plein d’honnêtes citoyens assoiffés de décorations posthumes qui barrent la route à Embroktaviok.
Celui-ci se voit foutu. Son revolver ne lui étant plus d’aucun secours, il le jette et fonce sous un porche monumental.
Moi itou.
Il traverse une cour où sont amoncelés des fûts.
Moi de même.
Une porte de cave… Il s’élance.
Moi aussi.
Nous voilà partis dans un labyrinthe bizarre creusé dans la craie de Champagne. Ça descend en pente raide, puis ça redevient plat. Nous sommes dans les caves immenses de la maison Cormoran et Champion, l’eau des champagnes de table. C’est frais, obscur, immense… J’ai lu quelque part une notice documentaire sur la boîte. Des kilomètres de galeries…
Les pas d’Embroktaviok se répercutent dans le labyrinthe.
J’arrive à des croisements. Les échos déforment les bruits, brouillent leur source.
J’écoute, identifie le bon chemin et je continue…
Heureusement, une main secourable actionne le commutateur général et les galeries s’éclairent. Je cours le long de millions de bouteilles vertes soigneusement empilées. Des murailles de champagne ! Un cauchemar de champagne.
La silhouette d’Embroktaviok se dessine au bout d’une galerie. J’ai encore trois dragées dans le composteur de Pinuche.
— Arrête ou je tire ! hurlé-je.
Ma voix sonore roule dans les profondeurs du sous-sol. Une voix moyenâgeuse…
L’autre s’en fout. Je tire un peu trop vite. Je fracasse un flacon et ça glougloute dans le secteur…
Embroktaviok vire sec. Soudain le bruit de sa galopade cesse.
Je continue néanmoins de foncer. Je me dis que je suis armé et pas lui… J’ai tort. Il est armé d’un esprit d’à-propos qui vaut mon revolver. Ce salopard vient d’arracher la barre soutenant une pyramide de bouteilles. A l’instant où je me présente, tout s’écroule. Je suis pris dans une avalanche de bouteilles. Ça m’entraîne, me roule, me broie, m’étourdit, m’anéantit, m’engloutit. Je suis entraîné, malaxé, broyé, assommé.
Je m’en vais une fois de plus dans le sirop. Le champagne coule sur moi. Les morceaux de verre lardent ma viande. Good
CHAPITRE XIX
ET DERNIER !
Dix minutes plus tard, on m’a ramené au jour. On a essuyé mon sang, épousseté mes fringues, massé mes bosses.
Bérurier se tient debout, bien cambré sur ses solides guitares. Il attend que je reprenne conscience, en mangeant ses huîtres.
— Tu parles d’un cirque, me fait-il. Ça va mieux ?
— Je suis tout étourdi.
— Comme Manon, dit le preux Béru. T’as eu de la chance de me connaître. Sans moi, notre julot se barrait.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Il rit, heureux, superbe, détendu, assouvi, fier de sa personne, de son intelligence et de son succès.
— J’sus t’arrivé z’ici peu de temps z’après toi. C’est moi que j’ai fait allumer les caves.
— Bravo.
— Au lieu de cavaler dans ce labyrinthe, j’ai étudié la topographie.
— Re-bravo…
— Il existe au fond de la cave une seconde, toute petite, où ce qu’on entreprose les crus milléminisés. Ceuss que se tapent les rois, les zagakans et les pleins aux as… Elle ferme par une grille commandée électriquement. J’ai fait lever la grille. Ensuite on a commencé la battue. Le mec s’est réfugié dedans cette seconde cave comme dans un piège et ç’a été bête comme chou de l’avoir.
— Tu l’as capturé ?