Читаем Ensemble, c’est tout полностью

— Oui. J'imaginais mon fantôme monter vers le ciel sur l'air de Tornami a vagheggiar, Te solo vuol amar... et mon papa qui m'ouvrait les bras en riant : « Ah ! vous voilà enfin mademoiselle ! Vous allez voir, c'est encore plus joli que la Riviera par ici... »

Elle pleurait.

- Non, pleure pas...

- Si. J'ai envie.

— Bon, alors pleure.

- C'est bien, t'es pas compliqué, toi...

- C'est vrai. J'ai plein de défauts mais je suis pas compliqué... Tu veux qu'on arrête ?

— Non.

— Tu veux boire quelque chose ? Un petit lait chaud avec de la fleur d'oranger comme me faisait Paulette ?

— Non, je te remercie... Où j'en étais ?

— Le vertige...

— Oui, le vertige... Honnêtement, il ne m'aurait pas fallu beaucoup plus qu'une pichenette dans le dos pour me faire basculer, mais au lieu de ça le hasard portait des gants noirs en chevreau très doux et m'a tapé sur l'épaule un matin... Ce jour-là je m'amusais avec les personnages de Watteau, j'étais pliée en deux sur ma chaise quand un homme est passé derrière moi... Je le voyais souvent... Il était toujours en train de tourner autour des étudiants et de regarder leurs dessins en douce... Je pensais que c'était un dragueur. J'avais des doutes sur sa sexualité, je le regardais tchatcher avec la jeunesse flattée et j'admirais son allure... Il avait toujours des manteaux superbes, très longs, des costumes classieux, des foulards et des écharpes en soie... C'était ma petite récré... J'étais donc recroquevillée sur mon carnet et je ne voyais que ses magnifiques chaussures, très fines et impeccablement cirées. « Pouis-je vous poser oune question indiscrète, Mademoiselle ? Avez-

vous oune moralité à toute épreuve ? » Je me demandais bien où il voulait en venir. À l'hôtel ? Mais bon... Avais-je une moralité à toute épreuve ? Moi qui corrompais Séraphin Tico et rêvais de contrarier l'œuvre du Bon dieu? "Non" ai-je répondu et, à cause de cette petite répartie crâne, je suis repartie dans un autre merdier... Incommensurable cette fois...

- Un quoi ?

- Un merdier sans nom.

— Qu'est-ce que t'as fait ?

— La même chose qu'avant... Mais au lieu de crécher dans un squat et d'être la bonniche d'un furieux, j'ai vécu dans les plus grands hôtels d'Europe et je suis devenue celle d'un escroc...

— Tu... tu t'es...

— Prostituée ? Non. Quoique...

— Qu'est-ce que tu faisais ?

— Des faux.

— Des faux billets ?

— Non, des faux dessins... Et le pire, c'est que ça m'amusait en plus ! Enfin au début... Après ça a tourné limite esclavagisme cette petite blague, mais au début, c'était très rigolo. Pour une fois que je servais à quelque chose ! Alors, je te dis, j'ai vécu dans un luxe incroyable... Rien n'était trop beau pour moi. J'avais froid ? Il m'offrait les meilleurs cachemires. Tu vois le gros pull bleu avec, une capuche que je mets tout le temps ?

— Ouais.

— Onze mille balles...

— Nooon ?

— Siiii. Et j'en avais une dizaine comme celui-là... J'avais faim ? Poï poï, room service et homard à gogo. J'avais soif ? Ma qué, champagne ! Je m'ennuyais ? Spectacles, shopping, musique ! Tout cé qué tou veux tou lé dis à Vittorio... La seule chose que je n'avais pas le droit de dire, c'est « J'arrête ». Là, il devenait mauvais le beau Vittorio... « Si tou pars, tou plonges... » Mais pourquoi je serais partie ? J'étais choyée, je m'amusais, je faisais ce que j'aimais, j'allais dans tous les musées dont j'avais rêvé, je faisais des rencontres, la nuit je me trompais de chambre... J'en suis pas sûre mais je crois même que j'ai couché avec Jeremy Irons...

— Qui c'est ?

— Oh... T'es désespérant, toi... Bon, peu importe... Je lisais, j'écoutais de la musique, je gagnais de l'argent... Avec le recul, je me dis que c'était une autre forme de suicide... Plus confortable... Je me suis coupée de la vie et du peu de gens qui m'aimaient. De Pierre et Mathilde Kessler, notamment, qui m'en ont voulu à mort, de mes anciens petits camarades, de la réalité, de la moralité, du droit chemin, de moi-même...

- Tu bossais tout le temps ?

- Tout le temps. Je n'ai pas tant produit que ça mais il fallait refaire la même chose des milliers de fois à cause de problèmes techniques... La patine, le support et tout ça... Finalement, le dessin c'était peanuts, c'était son vieillissement qui était compliqué. Je travaillais avec Jan, un Hollandais qui nous fournissait en vieux papiers. C'était son métier : parcourir le monde et revenir avec des rouleaux. Il avait un côté petit chimiste fou et cherchait sans relâche un moyen de faire du vieux avec du neuf... Je ne l'ai jamais entendu prononcer la moindre parole, un type fascinant... Et puis, j'ai perdu la notion du temps... D'une certaine manière, je me suis laissé ensuquer dans cette non-vie... Ça ne se voyait pas à l'œil nu, mais j'étais devenue une épave. Une épave chic... Le gosier en pente, des chemises sur mesure et un dégoût de ma petite personne... Je ne sais pas comment tout cela se serait terminé si Léonard ne m'avait pas sauvée...

— Léonard qui ?

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