— Léonard de Vinci. Là, je me suis tout de suite cabrée... Tant qu'on s'en tenait aux petits maîtres, aux esquisses d'esquisses, aux croquis de croquis ou aux repentirs de repentirs, on pouvait faire illusion auprès de marchands peu scrupuleux mais là, c'était n'importe quoi... Je l'ai dit mais on ne m'a pas écoutée... Vittorio était devenu trop gourmand... Je ne sais pas exactement ce qu'il faisait de son fric mais plus il en palpait et plus il en manquait... Il devait avoir ses faiblesses, lui aussi... Alors j'ai fermé ma gueule. Ce n'était pas mon problème après tout... Je suis retournée au Louvre, aux département des arts graphiques où j'ai pu accéder à certains documents et je les ai appris par coeur... Vittorio voulait oune petite chose. « Tou vois cette étoude, là ? Tou ti inspires d'elle, mais cet personnage-là, tou mé lé gardes..." A cette époque, on ne vivait déjà plus à l'hôtel mais dans un grand appartement meublé. Je me suis exécutée et j'ai attendu... Il était de plus en plus nerveux. Il passait des heures au téléphone, usait la moquette et crachait sur la Madone. Un matin, il est entré dans ma chambre comme un fou : « Je dois partir mais toi tou né bouges pas d'ici, d'accord ? Tou né sors pas tant que je té lé pas dit... Tou m'as compris ! Tou né bouges pas ! » Le soir, j'ai reçu un appel d'un autre mec que je connaissais pas : « Brûle tout » et il a raccroché. Bon... J'ai rassemblé des tas de mensonges et je les ai détruits dans l'évier. Et j'ai attendu encore... Plusieurs jours... Je n'osais pas sortir. Je n'osais pas regarder par la fenêtre. J'étais devenue complètement parano. Mais au bout d'une semaine, je suis partie. J'avais faim, j'avais envie de fumer, je n'avais plus rien à perdre... Je suis retournée à Meudon à pied et j'ai trouvé une maison fermée avec un panneau
« Quelle ironie... J'avais tout fait pour la fuir et voilà... Retour à la case départ, les rêves en moins... J'ai vivoté, je m'interdisais de boire seule et cherchais une issue de secours dans mon dix mètres carrés... Et puis je suis tombée malade au début de l'hiver et Philibert m'a portée dans les escaliers jusque dans la chambre d'à côté... La suite, tu la connais...
Long silence.
— Eh ben... répéta Franck plusieurs fois. Eh ben...
Il s'était redressé et avait croisé ses bras.
— Eh ben... Tu parles d'une vie... C'est dingue... Et maintenant ? Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ?
— ...
Elle dormait.
Il remonta la couette jusque sous son nez, prit ses affaires et sortit sur la pointe des pieds. Maintenant qu'il la connaissait, il n'osait plus s'allonger à côté d'elle. En plus elle prenait toute la place...
Toute la place.
18
Il était perdu.
Il erra un moment dans l'appartement, se dirigea vers la cuisine, ouvrit des placards et les referma en secouant la tête.
Sur le rebord de la fenêtre, le cœur de laitue était tout ratatiné. Il le jeta aux ordures et revint s'asseoir avec un crayon pour terminer son dessin. Il hésita pour les yeux... Est-ce qu'il fallait dessiner deux points noirs au bout des cornes ou un seul en dessous ?
Putain... Même en escargot, il était nul !
Allez, un. C'était plus mignon.
Il se rhabilla. Poussa sa moto en serrant les fesses devant la loge. Pikouch le regarda passer sans broncher. C'est bien mon gars, c'est bien... Cet été t'auras un petit Lacoste pour tomber les pékinoises... Il parcourut encore plusieurs mètres avant d'oser kicker et s'élança dans la nuit.
Il prit la première à gauche et roula toujours tout droit. Arrivé à la mer, il posa son casque sur son ventre et regarda les manœuvres des marins pêcheurs. Il en profita pour dire deux trois mots à sa moto. Qu'elle comprenne un peu la situation...
Légère envie de craquer.
Trop de vent, peut-être ?
Il s'ébroua.