Tous actains d'amoureuse flamme, Sans villain penser n'aultre blasme. (str. 2).Le symbole de la joute était «la nouvelle fleur»,
que l'on commençait depuis peu de temps à cultiver «l'a pensée». L'écu, qui avait été hissé sur la colonne de marbre, était couvert de ces fleurs, ainsi que les caparaçons des chevaux et les écus des «tenants» commandés par le roi. Ainsi le roi René avait-il renouvelé l'esprit de la compétition. Il marchait avec ses chevaliers en qualité non pas de défenseur du «pas» comme c'était l'habitude dans l'organisation d'un «pas d'armes», mais de défenseur de la fleur qui, on peut le supposer, était un symbole de l'amour.Bien que notre auteur ne connût, parmi la multitude de dames qui s'étaient rassemblées là, que la seule dame de Beauvau, il parle avec enthousiasme de toutes celles qui se rassemblèrent dans le château où règne «vraie amour»,
il leur attribue toutes les qualités possibles et pathétiquement s'écrie en conclusion:…et si j'avoie cent mille âmes Pour elles les mectroie es flammes Des après feux d'ardant désir Pour repprouver tous les infâmes,Faulx langaigiers, plains de diffames, Murtriers d'onneurs, venons et famés, Qui ont a mal parler plaisir. (str. 43)Pourquoi tant de passion à condamner les calomniateurs des belles dames? La question a son importance, car il ne s'agit pas simplement de rhétorique. La défense de l'honneur des dames était un élément essentiel de la conception de l'amour courtois, dans la mesure où cet amour était pensé presque exclusivement comme hors du mariage. Habituellement le bon renom d'une dame devait être sauvegardé au détriment du secret de l'amour, dont personne, sauf les amants, ne devait avoir connaissance. En outre la responsabilité principale incombait a l'homme, qui se présentait comme le garant du secret amoureux et de l'honneur de sa bien-aimée, et la divulgation qu'il faisait de ce secret était regardée comme un crime contre l'amour. André Le Chapelain, auteur du plus célèbre traité sur l'amour courtois, donne à ce propos cet exemple:
«Un chevalier divulgua honteusement les secrets de son amour et ses intimes affaires de cœur. Tous ceux qui servent dans la chevalerie d'amour demandent que ce délit soit très sévèrement puni, de peur qu'en laissant impuni l'exemple d'une telle trahison, on ne donne aux autres l'occasion de la suivre. Une cour de dames fut donc réunie en Gascogne, et l'on décida à l'unanimité que cet individu serait désormais frustré de toute espérance d'amour, et considéré comme indigne et méprisable aux yeux de tous».{642}
L'univers intellectuel et moral de notre auteur s'était formé sans doute sous l'influence des idées d'amour courtois. Et dans ses conceptions tous les chevaliers qui étaient descendus à Saumur, prirent part à la joute
Pour l'onneur d'armes aquerir, Et pour oster sans mesprison Celle amoureuse poison Dont nul n'a jamés guerison Sans dame humblement requérir. (str.281)Comme l'écrivait le roi René dans le livre des tournois pour en expliquer la nécessité et l'utilité, «par aventure pourra-il advenir que tel jeune chevalier ou escuier, par bien y faire, y acquerra mercy, grâce ou augmantation d'amour de très gente dame et cellée maistresse».{643}