Publius Lentulus suivait la scиne en silence, profondйment contrariй en constatant l'йtroite intimitй de sa femme avec une simple servante de sa maison. Il observa, trиs mйcontent, non seulement la spontanйitй de la gratitude enthousiaste de Livia, comme l'intromission d'Anne dans la conversation, ce qu'il considйrait comme une impudence. Bien vite, il mobilisa toutes les forces de son orgueil pour rйtablir la discipline chez lui, et, reprenant l'attitude hautaine de son expression physionomique, il s'adressa sиchement а son йpouse.
Livia, il faut que tu contrфles ces ravissements ! Aprиs tout, je ne vois rien d'extraordinaire а ce qui vient de se produire. Rien a manquй а notre malade en matiиre de traitement et de soins requis, il йtait donc logique de nous attendre а une rйaction salutaire de la part de son organisme, vu notre constante assistance.
Quant а toi, Anne - fit-il en se tournant avec arrogance vers la servante intimidйe -, j'estime que la mission qui te retenait dans cette piиce est dйjа accomplie, et йtant donnй l'йtat d'amйlioration de la petite, il n'est pas nйcessaire que tu restes plus longtemps ici auprиs de ta maоtresse qui a fait venir de Rome les domestiques de son service personnel.
Consternйe, Anne regarda sa maоtresse qui montrait sur son visage les signes йvidents de son amertume face au caractиre imprйvu de ces propos intempestifs, et faisant une lйgиre et respectueuse rйvйrence, elle sortit de la chambre oщ elle avait dйployй les meilleures йnergies de son abnйgation fraternelle.
Pourquoi cela, Publius ? - demanda Livia, trиs йmue. - Juste а l'heure oщ nous devrions montrer la joie de notre reconnaissance а cette dйvouйe servante, tu agis avec une telle sйvйritй ?
Tes enfantillages m'y obligent. Que dira-t-on d'une matrone qui ouvre son вme а ses esclaves les plus humbles ? Qu'en sera-t-il de ton cњur avec ces excиs de confiance ? Je remarque avec regret qu'entre nous il existe, а prйsent, de profondes divergences. Pourquoi cette confiance excessive vouйe au prophиte de Nazareth qui n'est pas supйrieur aux mages et aux sorciers de Rome ? De plus, oщ places-tu les traditions de nos divinitйs familiales si tu ne sais pas garder ta foi auprиs de l'autel domestique ?
Je ne suis pas d'accord avec toi, chйri, quant а ces pondйrations. J'ai la pleine conviction que notre Flavia a йtй guйrie par cet homme extraordinaire... а l'instant de son amйlioration soudaine quand elle nous parlait des mains sublimes qui la caressaient, j'ai vu de mes propres yeux, que le lit de la petite йtait saturй d'une lumiиre diffйrente que je n'avais jamais vue jusqu'а prйsent...
Une lumiиre diffйrente ? Tu divagues certainement aprиs tant de fatigue ; ou alors tu es contaminйe par les hallucinations de ce peuple fanatique au sein duquel nous avons eu la malchance de tomber...
Non, mon ami, il ne s'agit pas de divagation. Mкme si ces propos viennent du cњur que j'adore et que j'admire le plus sur terre, je le reconnais, j'ai la certitude que le Maоtre de Nazareth vient de guйrir notre fillette. Quant а Anne, chйri, je trouve ton attitude injuste, d'ailleurs, en contradiction avec ta proverbiale gйnйrositй а l'йgard des serviteurs de notre foyer. Nous ne pouvons ni ne devons oublier qu'elle fut d'un dйvouement а toute йpreuve, auprиs de notre fille et de moi-mкme en ces lieux solitaires. Quelles que puissent кtre ses croyances j'estime que sa conduite honnкte et sanctifiante ne peut qu'honorer le service de notre maison.
Le sйnateur rйflйchit а la teneur йlevйe des remarques faites par son йpouse et regrettant son attitude impulsive, il capitula face au bon sens de ces propos.
Trиs bien, Livia, j'apprйcie ta noblesse de cњur et j'accepte qu'Anne reste а ton service ; mais je ne transige pas en ce qui concerne la guйrison de notre fillette. Je n'admets pas que l'on attribue au mage de Nazareth son rйtablissement. Quant au reste, tu devras toujours te rappeler qu'il me plaоt de savoir que ta confiance et ton intimitй me sont strictement rйservйes. Le patricien et la matrone romaine en particulier ne doivent pas ouvrir les portes de leur cњur aux employйs ou aux inconnus.
Tu sais combien je respecte tes ordres - lui dit son йpouse rйconfortйe lui adressant un regard affectueux et reconnaissant - et je te demande pardon si j'ai offensй ton вme gйnйreuse et sensible !...
Non, ma chйrie, si quelqu'un doit demander pardon, c'est а moi de le faire, mais tu n'es pas sans savoir que cette rйgion me tourmente et me fait peur. Je me sens rйconfortй en constatant la rйaction bйnйfique de la nature organique de notre enfant car cela signifie notre prochain retour а Rome. Nous n'attendrons que quelques jours, mais dиs demain je demanderai а Sulpicius de commencer les prйparatifs de notre dйpart.