QUESTION DE LANGUE: La langue que nous utilisons influe sur notre manière de penser. Par exemple, le français, en multipliant les synonymes et les mots à double sens, autorise des nuances très utiles en matière de diplomatie. Le japonais, où l'intonation d'un mot en détermine le sens, exige une attention permanente quant aux émotions de ceux qui s'expriment. Qu'il y ait, de surcroît, dans la langue nippone plusieurs niveaux de politesse contraint les interlocuteurs à situer d'emblée leur place dans la hiérarchie sociale.
Une langue contient non seulement une forme d'éducation, de culture, mais aussi des éléments constitutifs d'une société: gestion des émotions, code de politesse. Dans une langue, la quantité de synonymes aux mots «aimer», «toi», «bonheur», «guerre», «ennemi», «devoir», «nature» est révélatrice des valeurs d'une nation.
Aussi faut-il savoir qu'on ne pourra pas faire de révolution sans commencer par changer la langue et le vocabulaire anciens. Car ce sont eux qui préparent ou ne préparent pas les esprits à un changement de mentalité.
Edmond Wells,
52. JACQUES. 7 ANS
Pour Noël, j'ai eu mon engin spatial. Je l'ai trouvé dans une boîte au pied du sapin. Comme j'étais content! J'ai embrassé mes parents et nous avons mangé des trucs gras pour «faire la fête». Foie d'oie, huîtres, saumon fumé avec de la crème d'aneth, dinde avec une sauce aux marrons, bûche au beurre.
Je ne comprends pas ce qui leur plaît tant dans ces mets de fête.
Ma grande sœur Suzon me dit que le foie gras provient d'une oie gavée de force jusqu'à ce qu'elle attrape un énorme foie, ma petite sœur Marthe renchérit en assurant qu'on jette les homards vivants dans l'eau bouillante pour les faire cuire et maman nous demande de vérifier que les huîtres sont bien vivantes en leur expédiant une giclée de citron. Si elles bougent, elles sont bonnes à consommer.
Après le bon repas, nous avons raconté des blagues. Papa en a sorti une qui m'a fait bien rire.
– C'est l'histoire d'un type renversé par un camion. Il se relève et alors il est renversé par une moto. Il se relève et alors il y a un cheval qui l'envoie valser. Il se relève et alors il se prend un avion en pleine figure. À ce moment, il y a quelqu'un qui crie: «Arrêtez le manège, il y a un blessé!»
Je n'ai pas compris tout de suite mais, quand j'ai saisi, j'ai ri pendant une heure. Les blagues que je ne comprends pas immédiatement sont celles qui m'amusent le plus ensuite.
Les blagues sont comme des petits contes. Les bonnes blagues nécessitent un décor, un personnage, une situation de crise ou un suspense qu'il faut mettre en place très vite, sans une parole de trop. Elles exigent aussi une fin surprenante, et ça, ce n'est pas si commode à trouver. Il faut que j'apprenne à inventer des blagues, ça me paraît un bon exercice.
Les blagues présentent l'avantage de pouvoir être testées en direct. On les raconte et on voit tout de suite si elles font rire. On ne peut pas tricher. Lorsqu'ils ne comprennent pas ou ne trouvent pas ça drôle, les gens ne se forcent pas à rire. J'ai tenté ma chance.
– Vous savez comment on ramasse la papaye?
Tout le monde a dit non.
– Avec une fou-fourche!
Tout le monde a souri. Personne n'a ri. Raté.
– Il est gentil, a dit maman en me passant la main dans les cheveux.
Vexé, je me suis enfui aux toilettes et je m'y suis calfeutré après avoir poussé la targette. Ça a été ma vengeance. Ensuite, j’ai occupé les lieux et j’ai interdit à quiconque d'y pénétrer. À bout d'arguments, mon oncle a proposé d'enfoncer la porte. «Quand même pas», a dit papa. J'ai gagné. Les W-C, c'est vraiment le refuge absolu.