Bientôt, je ne serai plus orphelin. Bientôt, j’aurai une vraie famille. Mes copains appartiennent déjà au passé. Notre séparation sera douloureuse, mais plus tôt je couperai mes liens avec les trois V, mieux je me porterai.
Maintenant que j'ai un vrai papa à moi je n'ai plus qu'un vœu: sortir d'ici.
55. ENCYCLOPÉDIE
SORTIR D'ici: Énigme: Comment relier ces neufs points avec quatre traits sans lever le stylo?
Solution:
On est souvent retenu de trouver la solution parce que notre esprit se cantonne au territoire du dessin. Or il n'est nul part indiqué qu'on ne peut pas en sortir.
Moralité: Pour comprendre un système, il faut… s'en extraire.
Edmond Wells,
56. PAPADOPOULOS
Edmond Wells annonce la fin de tous les ésotéris-mes; et en effet, ses secrets à lui sont bien mal dissimulés.
Son Ulysse Papadopoulos est un moine ermite. Il s'est construit une maison, y a entassé de grandes réserves de nourriture, de quoi subvenir à ses besoins jusqu'à la fin de ses jours, puis il a muré la porte.
Il n'a pas bâti sa retraite n'importe où. Son refuge a été érigé en l'un des points les plus élevés et les plus reculés des contreforts de la cordillère des Andes, à proximité du site de Cuzco, au Pérou.
Là, Ulysse Papadopoulos médite et écrit. C'est un petit homme à la barbe noire frisottée, aux ongles démesurés et à la propreté relative. Lorsque l'on vit enfermé depuis dix ans dans une pièce de vingt mètres carrés, on finit par renoncer aux efforts vestimentaires ou hygiéniques. Et puis, il n'y a plus que les araignées à visiter le reclus.
Le moine est tout occupé à noter le dernier aphorisme d'Edmond Wells quand nous nous invitons chez lui. Le texte affirme que pour comprendre un système il faut s'en extraire. Cette assertion ravit mon ami Raoul. N'est-ce pas ce que précisément nous sommes en train de faire? Comme nous nous approchons pour mieux déchiffrer la page, Papadopoulos s'arrête subitement d'écrire.
– Qui est là?
La douche froide. Un mortel qui perçoit notre présence! Vite, derrière l'armoire.
Il renifle.
– Je vous sens. Vous êtes là, n'est-ce pas?
Ce petit homme est sûrement un médium hors pair. Il se tourne et se retourne comme un chat ayant entr'aperçu une souris.
– Je sens que vous êtes là, saint Edmond.
Nous nous efforçons de contenir le rayonnement de nos auras.
– Vous êtes là, saint Edmond. Je le sais, je le sens.
Si j'avais cru qu'un jour je deviendrais un ange redoutant les humains…
– Il y a longtemps que je vous attends, murmure doucement le scribe. La connaissance du savoir absolu est une chose, mais la solitude en est une autre.
Raoul et moi, nous ne bougeons pas.
– J'ai beau être mystique, j'ai mes limites. Vous m'aviez déclaré que vous me dicteriez en songe tout ce que je devais écrire. Depuis, bien sûr, j'ai du texte dans la tête tous les matins, mais alors pour ce qui est de vous voir…
Nous nous blottissons de notre mieux. Il s'exclame:
– Ça y est, je vous ai repéré, saint Edmond!
Il s'avance, s'apprête à tirer l'armoire puis, tout à coup, se ravise et revient au centre de la pièce.
– Eh bien, si vous le prenez comme ça, je démissionne! lance-t-il, furieux. Désolé, j'ai horreur qu'on me manque de politesse.
Au comble de l'agitation, le moine grec se saisit d'un énorme maillet et entreprend de cogner dans les briques qui bouchent sa porte.
A cause de nous, le scribe veut quitter son ermitage! Je pousse Raoul Razorbak du coude.
– Il ne faut pas le laisser faire. Edmond Wells ne nous le pardonnerait jamais.
– À moi le monde extérieur! À moi les belles filles! hurle à tue-tête l'excité. Je renonce à mon vœu de chasteté! Je renonce à tous mes vœux! À mon vœu de silence! À mon vœu de prière! À moi les restaurants et les palaces, à moi la vraie vie!
Et de ponctuer chaque phrase d'un coup de maillet.
– Dix années perdues à transcrire des aphorismes philosophiques, merci bien! Et après quand ça vient me voir, ça ne dit ni bonjour ni bonsoir. Ah! On ne m'y reprendra plus. Religion, piège à moinillons. Et moi, bonne pomme qui, dès qu'un être de lumière m'est apparu en me demandant de faire l'ermite dans la montagne pour noter ses pensées, me suis empressé d'obtempérer…
– Il faut qu'un de nous deux se dévoue, dis-je.
– Toi, répond Raoul.
– Pas moi. Toi. Tout en maniant de bon cœur son maillet, le Grec fredonne «The Wall», la chanson des Pink Floyd.
– …