Читаем L'Empire des anges полностью

Anaïs est une petite brune piquante qui ressemble un peu à Martine, mais avec un visage plus rond. Quand elle rit ou sourit, deux fossettes se creusent dans ses joues.

Avec Anaïs, nous avons en permanence des crises de fou rire. On ne se dit rien, on se regarde juste et on éclate de rire, sans raison. Notre hilarité constante agace tout le monde et nous rend encore plus complices.

À la rentrée, nous nous promettons de nous revoir le plus souvent possible. Mais elle habite Bordeaux, moi Perpignan.

J'ai un gros projet en chantier, un livre qui parle de l'humanité à travers un regard «non humain». C'est un polar dont les héros sont des… rats qui enquêtent dans leurs égouts. Bien sûr, j'y respecte scrupuleusement toutes les lois qui régissent pour de bon les sociétés rats. J'ai déjà rédigé une première mouture de deux cents pages que j'apporte à Anaïs pour qu'elle les lise.

Elle lit vite.

– Marrant. Ton personnage principal est un rat avec une touffe de cheveux roux sur la tête.

– Tous les premiers romans comportent une petite part d'autobiographie, dis-je. Or je tiens beaucoup à mes cheveux roux.

– Pourquoi les rats?

J'explique que les rats ne sont qu'un prétexte, qu'il

s'agit d'une réflexion globale sur la vie en groupe. Je suis en quête d'une formule de société idéale où chacun se sentirait bien. Dans une nouvelle, autrefois, j'avais choisi pour héros deux globules blancs que j'avais introduits dans la société idéale du corps humain. Maintenant, a contrario, je veux montrer comment fonctionne une société féroce. Les rats sont un exemple de société efficace, mais complètement dépourvue de compassion. Ils éliminent systématiquement les faibles, les malades, les vieux, les enfants ché-tifs. La compétition est permanente et c'est à qui sera le plus fort. En écrivant sur ce monde méconnu, j'espère que mes lecteurs prendront conscience de la part de «rat» en eux.

À ma visite suivante, Anaïs me présente à ses parents. L'appartement familial est impressionnant. Tableaux de maîtres, meubles anciens, bibelots de prix, je n'ai encore jamais vu un tel étalage de luxe. Son père est dentiste, sa mère est dentiste et, visiblement, ça marche bien pour eux. Anaïs veut aussi étudier pour être dentiste. Il n'y a que son petit frère qui n'ait pas encore décidé de son avenir. Il parle de devenir informaticien, mais ça m'étonnerait qu'il persévère. Ou alors il finira en informaticien spécialisé dans les logiciels de dentisterie.

Toute la famille exhibe de belles dents blanches. Nous dînons et le père me demande ce que je compte faire dans la vie. Je dis que je veux devenir écrivain.

– Écrivain… mais pourquoi ne pas vous lancer dans une profession plus… normale?

Je réponds que l'écriture est ma passion et que je préfère gagner moins et exercer un métier qui m'amuse. Mais le père d'Anaïs ne rit pas. Et Anaïs non plus.

Après le repas, le père m'interroge sur le métier de mes parents. Libraires. Le père d'Anaïs hoche la tête et évoque ses écrivains préférés: Céline, Marguerite Duras… J'avoue avoir déjà feuilleté des ouvrages de Duras et de Céline et m'être plutôt ennuyé.

Là, j'aurais dû remarquer que la mère fronçait les sourcils. Anaïs m'adresse de petits signes que je ne perçois pas à temps.

Son père me demande ce que j'apprécie comme littérature. Je cite Poe et Kafka, et il pousse un: «Ah! oui, je vois» à partir duquel j'aurais mieux fait de me taire au lieu d'enchaîner sur les merveilles du fantastique, du polar et de la science-fiction.

Il reconnaît n'avoir jamais ouvert ce type d'ouvrages. Là, je sens enfin que quelque chose cloche et, désireux de me montrer conciliant, je conclus:

– Oh, et puis, après tout, il n'existe que deux sortes de livres, les bons et les mauvais.

Tout le monde se tait et fixe les assiettes.

Dans un grand mouvement de jupe, la mère se lève et va chercher les desserts.

Ensuite, comme Anaïs lui a déclaré que j'étais aussi un as en matière d'échecs, le père insiste pour que nous fassions une partie. Avec modestie, il proclame n'être qu'un simple joueur du dimanche.

Je gagne en quatre coups, en faisant le «coup du berger» que m'a enseigné Martine. Le père ne souhaite pas de revanche.

Depuis cette soirée, avec Anaïs, nous nous voyons moins souvent. Elle m'avoue un jour que son père ne l'imagine pas mariée à un «saltimbanque».

Fin de l'idylle.

Je contemple mes photos d'Anaïs. Sur chaque cliché, elle rit. Simplement, j'ai eu tort d'accepter de rencontrer ses parents.

Pour oublier mes préoccupations d'humain, je me précipite dans l'écriture et m'acharne à comprendre ce que peut penser un rat dans sa vie de tous les jours.

<p>83. ENCYCLOPÉDIE</p>

POINT DE VUE:

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