Aux optimistes, les informations rappellent matin, midi et soir que nulle part au monde les humains ne sont protégés. Écoutez les prédicateurs: tous annoncent l'Apocalypse, ou la guerre.
Échec mondial, échec local, échec individuel, seuls sont entendus ceux qui parlent de lendemains qui déchantent. Quel augure oserait annoncer que, dans l'avenir, tout ira de mieux en mieux? Et au niveau individuel, qui oserait enseigner à l'école: que faire si vous obtenez l'oscar du meilleur rôle? Comment réagir si vous remportez un tournoi du grand chelem? Que faire si votre petite entreprise s'élargit en une multinationale?
Résultat: quand la victoire arrive, l'individu est dépourvu de repères et, bien souvent, il est si décontenancé qu'il organise vite fait sa défaite afin de se retrouver dans une «normalité» connue.
Edmond Wells,
90. JACQUES
J'enfile mes charentaises, je me cale dans le fauteuil, je débranche le téléphone, je verrouille la porte à double tour, je pose le chat sur mes genoux, je ferme un instant les yeux pour me concentrer sur un décor et je me prépare à écrire. Dans mon esprit, les personnages s'animent.
91. IGOR
Je les vois, ils sont tout là-haut sur la crête. Les ennemis. J'enfile mes cartouchières, insère mon poignard dans ma chaussure et introduis même ma petite pilule de cyanure dans ma dent creuse. C'est le règle ment. Il paraît que les Tchétchènes sont sadiques, mais ça m'étonnerait rudement qu'ils sachent me faire parler. J'ai le cuir épais. Merci maman, tu m'auras au moins donné ça.
92. VENUS
Zut, je me suis cassé un ongle. Zut! zut! et zut! Pas le temps de réparer avec un faux ongle. On me fait signe que ça va être mon tour. Ne pas paniquer.
93. IGOR
Le signal. Ça y est, ça va être à nous. Stanislas est à ma droite. Pourquoi suis-je si copain avec lui? Parce que c'est le gars chargé du lance-flammes. Si je ne veux pas me prendre par erreur un jet d'essence enflammée, autant rester à côté de lui. Ma volonté de survivre décide désormais de mes amitiés. Mon expérience avec Vania m'a appris à ne pas choisir mes amis pour ce que je peux leur apporter mais pour ce qu'ils peuvent m'apporter, eux. Fini la pitié, seul compte l'intérêt.
J'examine de nouveau à la jumelle notre objectif, la crête.
– Ça ne va pas être du gâteau, dis-je encore à Stanislas.
– Je ne crains rien, répond-il, j'ai un ange gardien qui me protège.
Un ange gardien…
– Ouais. Tous nous en avons un mais beaucoup oublient de l'invoquer lorsqu'ils en ont besoin. Moi, je n'oublie pas. Avant de me lancer à l'attaque, je l'appelle et je me sens protégé.
Il sort un médaillon doré orné d'un ange toutes ailes déployées et y appose les lèvres.
– Saint Stanislas, dit-il.
Moi, sur le médaillon que j’ai au cou, il y a un portrait de mon père mais si je le retrouve, ce ne sera pas pour le bénir.
J'avale une rasade de vodka pour me réchauffer. J'introduis dans mon baladeur une cassette qui donne la pêche. Pas une de ces musiques décadentes occidentales mais une composition classique bien de chez nous qui fleure bon l'âme slave:
94. TECHNIQUE DE CONTRÔLE DE LA VITESSE
Avec Freddy, Raoul et Marilyn Monroe, nous mettons au point une procédure de navigation dans l'espace adaptée à notre état d'anges. Pour mieux nous entraîner, nous nous éloignons du Paradis et nous nous exerçons un peu au-dessus du système solaire, dans la zone de vide sidéral.
Tester d'abord la propulsion.
Évidemment, dépourvus de corps matériels, nous ne subissons pas de frottement et nous voguons des milliers de fois plus vite qu'une fusée humaine. Mais les distances sont telles que tout cela semble très poussif.
À force d'essais, nous parvenons à des pointes de 1 000 kilomètres-seconde, puis de 5 000 kilomètres-seconde.
– Nous pouvons accélérer encore, dit Freddy.