Je pense donc à une plus grande distance, en projetant mon regard plus loin. Tous nous accélérons. 10 000 kilomètres-seconde, 30 000 kilomètres-seconde, 100 000 kilomètres-seconde.
100 000 kilomètres-seconde! Rien que d'y songer, ça donne le vertige.
Comme toujours, Raoul cherche à renchérir:
– 300 000 kilomètres-seconde, la vitesse de la lumière, c'est ce que nous devons réussir.
– On ne perd rien à essayer, dit Freddy.
Ensemble, nous nous élançons. 100 000, 150 000,
200 000, ça y est: 300 000 kilomètres-seconde! À cette vitesse, nous entrevoyons les particules de lumière, les fameux photons, qui se précipitent à la même allure que nous. Ils nous servent de moyen pour connaître notre vitesse. Quand les photons sont immobiles, c'est que nous sommes pile à la même célérité. J'arrive même à les dépasser un peu!
Tout mon corps n'est que vitesse, fluidité. Je glisse sur le cosmos comme s'il s'agissait d'une table immense, à peine déformée par le poids des étoiles posées dessus.
Ça va vite.
Très vite.
«Vite», l'adjectif est faible pour décrire la sensation. Nous sommes comme des obus traversant l'espace. Ce n'est plus un voyage. Nous ne sommes plus seulement des êtres rapides. Nous sommes des… rayons lumineux.
95. ENCYCLOPEDIE
LE DILEMME DU PRISONNIER: En 1950 Melvin Dresher et Merrill Flood découvrent le dilemme du prisonnier. Voici son énoncé: deux suspects sont arrêtés devant une banque et enfermés dans des cellules séparées. Pour les inciter à avouer leur projet de hold-up, la police leur fait une proposition.
Si aucun des deux ne parle, ils seront condamnés à deux ans de prison chacun. Si l'un dénonce l'autre et que l'autre ne dit rien, celui qui dénonce est libéré, celui qui se tait est condamné à cinq ans de prison.
Si les deux dénoncent leur partenaire, les deux écopent de quatre ans de prison.
Chacun sait que l'autre s'est vu offrir le même marché.
Que se passe-t-il dès lors? Les deux pensent: «Je suis sûr que l'autre va craquer. Il va me dénoncer et je vais en prendre pour cinq ans, alors que lui va être libre, c'est vraiment trop injuste.» Donc les deux auront naturellement la même idée qui leur viendra à l'esprit: «Par contre, si je le dénonce je serai probablement libre et il ne sert à rien que nous soyons punis alors que l'un de nous peut s'en tirer.»
De fait, confrontés à cette situation, la grande majorité des sujets testés dénonce l'autre. Mais étant donné que leur comparse a aussi raisonné de la même manière, tous les deux se retrouvent avec quatre ans d'incarcération.
Alors que, s'ils avaient réfléchi, ils auraient tous les deux gardé le silence et purgé seulement deux ans de prison.
Encore plus étrange: si l'on refait l'expérience en laissant les deux discuter ensemble, on en arrive pourtant exactement au même comportement. Car les deux, même après avoir mis au point une stratégie commune, finissent pourtant par se trahir mutuellement.
Edmond Wells,
96. JACQUES