En plusieurs circonstances, j’ai constaté, avec une douleur indicible, que des jeunes gens ignorent les édifiantes aventures d’Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Josué, Gédéon, Samson, Samuel, Booz, Saül, David, Salomon, Elie, Elisée, Jonas, Ezéchiel, Esther, Tobie, Judith, Daniel, etc., etc. De ces noms célèbres et vénérés, ils ont tout au plus une vague idée. A la question qu’un digne prêtre posa naguère:
Un tel état de choses est navrant. Où irons-nous, juste ciel, si la connaissance des pieux épisodes de la Bible se perd, si les écrits inspirés autrefois par le divin pigeon tombent dans l’oubli?… Il est temps de réagir, Très Saint-Père.
C’est pourquoi j’entreprends une nouvelle édition des Saintes Écritures. Je n’omettrai rien, et je tâcherai de rendre cette lecture aussi attrayante que possible. Vous verrez ça. A mon prochain voyage à Rome, je solliciterai de votre auguste main encore une bénédiction spéciale, à ajouter à ma précieuse collection.
Si cependant, vous en rapportant à moi, vous daignez m’envoyer cette bénédiction de premier choix, sans attendre ma visite, — Très Saint-Père, ne vous gênez pas.
La joie de vous avoir mystifié ne diminue en rien mon zèle pour la diffusion des grandes vérités éternelles, qui sont la base de la religion sublime dont vous êtes le pontife souverain. Je ne dis pas que ma Bible Amusante contribuera beaucoup à raffermir la foi; mais elle aura néanmoins un avantage incontestable: en pénétrant parmi les victimes de l’État laïcisateur, en se faisant lire de ceux qui maintenant ignorent ou ne connaissent que vaguement toutes ces belles choses, elle leur révélera ce qu’il est nécessaire de croire pour avoir le droit de se dire fils de l’Église catholique, apostolique et romaine.
Si, après ça, quelques-uns veulent admettre qu’il est possible à un homme de vivre trois jours dans le ventre d’une baleine, sans parler des autres miracles bibliques, vous me devrez, mon vieux Joachim, de chaleureux remerciements pour vous avoir valu des recrues inespérées.
Alors, sans rancune au sujet de ma mystification, n’est-ce pas?… Ce livre vous aura consolé, et nous redeviendrons bons amis, comme avant le 19 avril.
Voyons, ne te fais pas prier, Léon. Envoie-moi un petit à-compte de bénédiction, par retour du courrier.
Paris, le 20 juin 1897 — Léo Taxil.
1. La création et le paradis terrestre
Or, apprenez donc ce que l’esprit de Dieu dicta à Moïse, prétendu auteur sacré, à qui est attribuée la Genèse, premier livre de l’Écriture Sainte; et vous constaterez, à chaque instant, que l’esprit de Dieu, à moins d’être d’une ignorance crasse, est fumiste, essentiellement fumiste, plus fumiste que l’inventeur de la grande-maîtresse palladiste Diana Vaughan.
Dieu est de toute éternité; mais, au commencement des temps, il était seul dans le néant. Rien n’existait, sauf lui, s’appelant alors Elohim, nom hébreu sous lequel il est désigné par le premier verset de la Bible; et ce nom est un pluriel, ce qui est bien singulier pour un monsieur tout seul.
Donc, Elohim, — qui est aussi Jéhovah, Sabaoth, Adonaï, ainsi que nous le verrons plus loin, — Elohim s’embêtait (ou s’embêtaient) à six francs par tête au milieu de son chaos;
L’éternité étant démesurément longue, maître Elohim s’embêta pendant des milliards et des milliards de siècles. Enfin, il eut une idée: étant Dieu, c’est-à-dire tout-puissant, il jugea que s’embêter toujours sans rien faire serait le comble de la bêtise, et il résolut de créer.
Il aurait pu tout créer d’un seul coup. Eh bien, non; mieux valait prendre son temps, lui sembla-t-il. Et il fit le ciel et la terre, ou, pour mieux dire, la matière apparut sous le simple effort de sa volonté; une matière informe, vide, confuse, encore tohu-bohu, et pleine d’humide.
Afin de ne pas commettre de gaffes, il était nécessaire, avant tout, de voir clair; d’où l’on est en droit de conclure que, pendant les mille milliards de siècles précédents, ce pauvre papa Bon Dieu était dans la plus complète obscurité.
Heureusement, il ne se cogna jamais le nez nulle part, puisqu’il n’y avait rien du tout.