C'était plus que Gauthier n'en pouvait supporter. Par trois fois, déjà, au cours du dialogue, Catherine avait dû, par un geste impérieux, l'empêcher de prendre part au débat. Cette fois, il n'y tint plus. Tirant son épée d'un geste brusque il en posa la pointe sur la poitrine du bourgmestre.
— Je crois que vous dépassez les bornes, bourgmestre ! Je n'ai pas l'habitude de laisser insulter ou menacer ma maîtresse car la garder est ma principale fonction. Aussi faites-moi donc le plaisir de sortir d'ici et plus vite que cela. Mais auparavant, toutefois, ayez donc la bonté de nous établir immédiatement un laissez-passer qui nous permette de quitter votre bonne cité, si agréablement hospitalière.
— Et si je n'obéis pas ?
— Je vais avoir l'immense plaisir de vous couper la gorge !
Van de Walle haussa les épaules.
— Vous signeriez votre arrêt de mort immédiate. Avez-vous envie d'être pendu ?
— Comme vous avez si bien pendu cette pauvre femme, la Florentine ? Car c'est sur votre ordre, n'est-ce pas, qu'on l'a exécutée ?...
— Gauthier ! reprocha Catherine. Je crois que vous dépassez vous aussi les bornes...
— Croyez-vous ? Regardez donc la figure de votre bon bourgmestre. Il ne lui vient même pas à l'idée de nier ! On tient beaucoup décidément à ce que vous ayez un enfant !
— Et à ce qu'elle l'ait ici ! coupa Van de Walle. Alors que décidez-vous ? Me tuez-vous ou bien...
Vivement, Catherine posa sa main sur celle du jeune homme l'obligeant à abaisser l'arme qui était déjà légèrement enfoncée dans l'épaisseur du tissu.
— Laissez, mon ami ! Comme on vient de vous le dire, cela ne servirait qu'à vous envoyer à la mort, sans nous sauver. Vous pensez bien que ces messieurs ne sont pas venus seuls...
— En effet, dit l'échevin Metteneye qui avait assisté sans ouvrir la bouche à cette scène violente et considéré avec un calme parfait le danger couru par son chef. Il y a, devant l'auberge, une compagnie entière de la milice communale, toute disposée à nous prêter main-forte...
Contre une femme et deux jeunes gens ? articula Catherine méprisante. Mes compliments, seigneurs bourgeois ! Voilà de la bravoure... presque aussi brillante que celle par vous déployée devant Calais ! Eh bien donc, me voici votre prisonnière ! Puis-je savoir où vous avez l'intention de me garder ? Dans cette auberge ? J'en serais navrée : elle a beaucoup perdu depuis le temps où mon oncle en était l'un des plus fidèles clients. À présent, c'est un coupe- gorge ! ajouta-t-elle en adressant au malheureux Cornélis la fin de son sourire dédaigneux, sous lequel il parut se recroqueviller. Plutôt au Steen... à la prison, j'imagine ?
— Ni l'un ni l'autre ! coupa le bourgmestre. Vous êtes un otage trop précieux pour n'avoir pas droit à tous les égards. Il est inutile d'attiser encore la colère du Duc. Vous serez donc parfaitement traitée... à moins que l'on ne nous oblige à des solutions extrêmes.
— Auquel cas vous me couperez la tête avec tout le respect qui m'est dû ? Alors, où irai-je ?
— Mais... chez vous ! Votre maison vous appartient toujours et elle a été soigneusement entretenue par ordre de Monseigneur... ce qui, vous l'avouerez, est une parfaite preuve d'indifférence. Vous y aurez toutes vos aises, mais, bien entendu vous y demeurerez sous une étroite surveillance. Je vais d'ailleurs avoir l'honneur de vous y conduire moi-même et, puisque vous étiez prête à partir, je pense qu'il n'y a aucune raison de différer plus longtemps. Quant à vous, jeune homme, ajouta-t-il en se tournant vers Gauthier, je veux bien oublier votre... coup de sang de tout à l'heure car, à tout prendre, vous n'avez fait que votre devoir de bon serviteur mais je vais m'assurer...
— Ah non ! protesta Catherine. Vous n'allez pas me prendre mes serviteurs ? Je veux bien être votre prisonnière ; je veux bien risquer ma vie entre vos mains et j'essayerai de prendre mon mal en patience mais j'entends garder ceux qui me sont dévoués. Or, je n'ai plus ici que deux amis : mon écuyer et mon page : laissez-les-moi !
Van de Walle s'inclina.
— Soit ! Permettez-moi cependant de corriger vos paroles, dame Catherine. Vous avez ici bien plus d'amis que vous n'imaginez et vous aurez toute la ville si, grâce à vous, nous retrouvons commerce fructueux, paix et privilèges...