Bien sûr, on lui donna d'autres domestiques mais ils avaient le visage fermé et les yeux inquisiteurs des geôliers et ils s'entendaient trop visiblement avec ceux qui, chaque jour, venaient s'installer dans la salle basse pour assurer la garde du précieux otage. Une étrange garde, d'ailleurs, fournie chaque jour par une corporation différente comme si tous les corps de métiers de la turbulente cité tenaient à s'assurer, à tour de rôle, de ce que leurs intérêts étaient bien protégés.
Et l'on put voir flotter alternativement devant la porte de Catherine la bannière des chaussetiers, celle des plombiers, des orfèvres, des mouliniers, des chapeliers, des huchiers, des déchargeurs de vin, des peintres, des cordiers, des chandeliers, des barbiers, etc.
Cette garde, sans cesse différente, était devenue la grande distraction de Gauthier et de Bérenger, la seule qui leur fût permise car, pas plus que Catherine, ils n'avaient le droit de sortir de la maison qui au fil des jours perdait toujours un peu plus de son charme et devenait prison. La jolie porte peinte et sculptée ne s'ouvrait jamais pour eux. Seules les fenêtres pouvaient s'ouvrir mais l'air qui entrait était si froid qu'il fallait bien vite les refermer. L'ennui s'installait en dépit des efforts de Catherine et de Gauthier qui pour meubler le temps avaient entrepris de continuer les études de Bérenger regrettablement négligées depuis son départ de Montsalvy.
Heureusement, on ne leur marchandait ni les livres, ni le papier, ni les plumes et grâce à tout cela bien des heures passaient, moins lourdes que les autres.
Naturellement, l'otage n'avait pas droit aux visites. En dépit de ses efforts et d'une scène violente qu'il était allé faire aux échevins, Jean Van Eyck n'avait pu obtenir la permission de voir son amie. On lui avait même fait comprendre qu'il était préférable pour lui de ne s'absenter de chez lui que le moins souvent possible, ce qui réjouissait si visiblement sa femme que sa fureur à lui s'en trouvait redoublée. Il s'en vengeait en exécutant, de dame Marguerite, un portrait si peu flatté qu'il en devenait féroce. Mais cela ne lui rendait pas ses coudées franches pour autant...
Quant à Catherine, chaque jour, matin et soir, elle devait recevoir le chef de sa garde personnelle venu s'assurer de ce qu'elle était toujours là. En outre, le dimanche, un prêtre de l'église Saint-Jean venait dire la messe pour elle et l'entendre en confession si elle le désirait, mais elle ne le désirait jamais. Enfin, tous les quinze jours, Louis Van de Walle ou l'autre bourg mestre Maurice de Varssenare venait lui rendre une très cérémonieuse visite, s'inquiétait de sa santé, de ses besoins mais ne répondait jamais à ses questions lorsqu'elle essayait de savoir où en étaient les pourparlers avec le Duc...
En foi de quoi, elle avait l'impression que les choses étaient loin de s'arranger car à chacune de leurs visites, elle leur trouvait la mine plus grave et le regard plus inquiet.
Cela ne la tourmentait pas outre mesure d'ailleurs car elle en venait à éprouver, pour son propre destin, un curieux détachement. Trop de catastrophes s'étaient abattues sur elle depuis qu'elle avait dû quitter sa chère Auvergne. Elles avaient fini par user sa résistance morale et, à présent, la mort, même tragique, même sanglante sous la doloire d'un boucher, prenait lentement les couleurs apaisantes d'une délivrance.
En quittant la vie, elle entrerait enfin dans le repos éternel, elle serait débarrassée à tout jamais de ce corps qui lui avait donné des joies, certes, mais tellement plus de souffrances, de ce cœur trop souvent mis à la torture par la dureté, l'égoïsme et l'intransigeance d'Arnaud.
Parfois, la nuit, tandis que les yeux grands ouverts dans l'obscurité elle écoutait couler les heures sans trouver le sommeil, elle cherchait à sonder la vérité de ce cœur. Naguère encore, la seule évocation de son époux suffisait à en accélérer le rythme, à le faire soupirer de bonheur ou se crisper de souffrance. Mais depuis quelque temps il restait étrangement silencieux, comme si, las d'avoir trop crié dans le désert, il avait perdu sa voix...