— Tu ne comprends donc pas qu’il se moque encore de toi ? Qu’il utilise le prétexte des enfants pour t’attendrir ? Ce tatouage, il se l’est fait lui-même ! Il est tellement obnubilé par cette histoire de fous ! Ça lui bouffe la vie, tu le sais ! C’est un démon !
Il la repoussa vers David avec fermeté.
— Il te ment ! Il te ment comme il t’a toujours menti !
Emma se raidit et pointa le bistouri devant elle.
— Vas-y ! brailla le Bourreau. Découpe ! Découpe et pose sur le plateau !
— Non Emma ! Pour l’amour de Dieu, ne faites pas ça !
Dans un geste de furie absolue, elle lui planta le bistouri dans la cuisse droite. David se tordit de douleur, alors qu’Arthur se cabrait sur son siège, traversé par un courant de plaisir.
— Pourquoi, David ? cracha-t-elle de son haleine rance. Pourquoi faut-il que tout se termine toujours de la même façon ? Pourquoi vous n’êtes pas capable de m’aimer ?
David gémissait, le visage décomposé, pendant qu’elle prélevait un infime pavé de chair.
— La... balance ! haleta le Bourreau. Pose dessus ! Et recommence ! Recommence, jusqu’à l’équilibre ! Il te hait ! II était prêt à fuir et à te laisser crever dans la neige, comme une chienne ! Te laisser crever !
Emma ne contrôlait plus ses nerfs, ni les battements de son cœur. Les cachets... Qu’est-ce qu’Arthur avait bien pu lui donner ? Elle était en sueur. La voix d’Arthur s’éloignait et revenait plus forte encore. Une seule envie. Courir se fracasser la tête contre un mur. S’infliger des coups de scalpel. Frapper.
Elle se trancha la main en criant :
— Voilà ce que vous me forcez à faire ! Je vous demandais juste de m’aimer ! M’aimer ! C’est si compliqué ?
Elle propulsa l’instrument sur le plancher et resta là, à regarder le sang couler. Puis elle fixa curieusement Doffre, les yeux embués de larmes.
— Continue ! grogna-t-il. Tranche-lui un orteil ! Tranche-lui un orteil et pose-le sur la balance !
Elle s’empara de la tenaille, les mâchoires serrées.
— Emma... Il va vous tuer... Il va boucler la boucle... Après les parents, les enf...
Il se redressa subitement.
— Sept ! s’écria-t-il, regardant la chevelure noire alors qu’Emma s’était baissée et approchait l’outil de son pied gauche. Sept !
Elle marqua une nette hésitation. Doffre perdit instantanément son rictus.
— Sept quoi ? demanda-t-elle en relevant la tête.
— C’est pour cette raison qu’il vous a choisie, vous ! Les enfants perdus qui s’entretuent ! L’ultime aboutissement ! Le septième numéro se cache sur votre crâne ! Vous êtes l’enfant Böhme, dont les parents ont été tués en mars 1979 ! Vous êtes née aux alentours du 4 mars 1979 ! Ils ont modifié notre date et lieu de naissance pour qu’on ne fasse pas le rapprochement ! Vos vrais parents s’appelaient Patricia et Patrick ! Vous avez été adoptée. Petite, vous déménagiez souvent ! Avez-vous déjà vu des photos de votre mère enceinte ? De vous, nourrisson ou à l’âge d’un an ? Non, je suis sûr que non ! Emma ! Vous aussi, vous avez ce numéro sur le crâne ! Vérifiez ! Vérifiez au moins ça ! Je vous en prie !
Emma se redressa. Sa paume gauche était en sang. Son cœur continuait à s’emballer.
— Ne l’écoute pas ! vociféra le Bourreau. Tranche-lui la langue !
— Arthur ! Mais comment il sait pour... ma date de naissance, et les déménagements ? Je... Je n’en parle jamais !
Ses yeux étaient rivés au sol, cherchant le cliché du septième enfant.
— La tondeuse Emma ! Rasez-vous l’ar...
Le Bourreau enfonça son index dans le trou de la cuisse.
— Ferme-la, petit enfoiré de mes deux ! David hurla, arqué contre le tronc.
— Vas-y ! répéta le tueur en se retournant vers Emma. La chair ! Prélève la chair !
Emma secoua la tête, les photographies devant elle, complètement affolée. Arthur lui attrapa les cheveux.
— Qui commande ici ?
Elle encercla les poignets de Doffre, la bouche grimaçante. Pour la première fois, il sentait de la résistance.
— Qui commande ?
Elle ne parvenait pas à se défaire de son étreinte. Elle s’élança vers l’avant, abandonnant une poignée de cheveux entre les doigts du Bourreau.
— Il faut que... que je vérifie ! s’écria-t-elle.
— Reviens ici !
— Tu dis qu’il ment et je te crois... Arthur ! Je te crois vraiment ! Mais...
Elle serra le poing.
— ... on va voir... Oui, on va voir.
Elle s’empara des deux miroirs et précipita la tondeuse sur ses cheveux.
— Emma ! répétait Doffre de son ton le plus autoritaire. Emma ! Emma !
Il fit marche arrière et cogna contre la table basse.
Le fusil ! s’écria David. Il va chercher le fusil ! Emma ! Mais elle ne l’écoutait pas, occupée à se raser la tête. Dans le miroir, le chiffre se dessina lentement, sur la masse blanche de son crâne.
Ses yeux s’écarquillèrent.
Elle tomba à genoux, la photographie du septième enfant entre ses mains tremblantes.
Ce môme était une fille. Une fille aux courts cheveux bruns, de tout juste deux ans.
Emma hurla.
Puis elle observa David. Cette même marque dissimulée sous sa chevelure, depuis toutes ces années...