— Emma va m’accompagner, puisqu’elle parle allemand.
— Vas-y et je te quitte sur-le-champ ! hurla Cathy.
— Emma est encore très fatiguée, fit Doffre de sa voix mielleuse que Cathy ne supportait plus. Adeline va y aller avec toi, elle se débrouille en allemand.
— Vous pourriez la laisser se décider toute seule ! s’emporta Cathy.
Elle se tourna vers David.
— Tu veux y aller ? Si c’est ça, je viens avec toi !
Elle se précipita vers le portemanteau, tout en continuant à râler :
— Ah, j’oubliais ! Il y a des lynx dehors ! Trois beaux lynx, qui sont venus faire patte folle avec le merle. Et puis, on nous a observés cette nuit. L’espèce de taré qui s’amuse à nous effrayer depuis le début ! Mais je suppose qu’on s’en fiche ?
— Les lynx ne sont pas vraiment un problème, expliqua Arthur. Ils ne chassent...
— Que la nuit, je sais ! Pourtant, spécialement pour nous, je les sens bien s’octroyer une petite exception !
Les mots sortaient de sa bouche en un flot amer. Excédé, David ne cherchait même plus à l’excuser. Cathy était devenue
— Je suis d’accord pour me joindre à vous, ajouta Adeline d’un ton peu assuré. Juste le temps de me couvrir. Mais je vous préviens, mon allemand, c’est une catastrophe. J’ai appris sur le tard... Disons qu’avec le langage des signes, on devrait se débrouiller...
— Très bien ! Allez-y tous les trois, c’est mieux, confirma Arthur.
— Mais oui... à trois, c’est drôlement mieux ! rétorqua Cathy.
Ce n’est que lorsqu’elle vit Emma entrer dans le salon qu’elle réalisa l’erreur qu’elle était en train de commettre. Elle ôta lentement la parka qu’elle venait d’enfiler.
— Et puis non ! Allez-y tous les deux !
— Peut-on savoir ce qui vous fait changer d’avis ? lui demanda le vieil homme.
— Clara va se surveiller toute seule ?
Doffre plissa légèrement les paupières, un horrible rictus leva une partie de sa lèvre supérieure. David soupira, désespéré devant l’arrogance de son épouse.
— Je peux la garder, proposa Emma d’un ton très doux. Au moins je me rendrai utile. J’ai toujours aimé les
Elle perdit sa bonne humeur quand Cathy s’avança vers elle.
— Vous, retournez dans votre chambre bouger vos meubles et fichez-nous la paix ! Les
— Dreckskerl !
Cathy se retourna vers Adeline.
— Qu’est-ce qu’elle a dit ?
La rouquine haussa les épaules.
— Ça suffit, bon sang ! cria David en claquant du poing sur la table. On dirait des ados dans une colonie de vacances ! Tu arrêtes maintenant Cathy !... Bon, Adeline, allons-y !
Il se dirigea vers le salon, rapidement suivi par les autres. Il s’approcha de la cheminée, décrocha avec précaution le fusil de son présentoir et s’assura qu’il était chargé.
— Hors de question de l’utiliser, se justifia-t-il pour prévenir les commentaires. Je compte juste le cacher derrière un tronc, à proximité de la cabane, au cas où...
— Au cas où quoi ? s’emporta Adeline. Vous ne l’utiliserez pas ? Alors laissez-le ici ! Si vous prenez ce fusil, je reste !
— C’est quoi, votre problème, à vous ? répliqua-t-il sèchement, incapable de se contenir.
Il hésita longuement, dévisageant tour à tour Emma, Doffre, Adeline, Cathy. Il s’apprêtait finalement à reposer le Weatherby Mark, quand son mouvement s’interrompit net.
Une intuition.
Il ramena l’arme devant ses yeux et la considéra sous toutes ses coutures. Canon, pontet, fût, lunette et...
Accélération de son rythme cardiaque.
Ce fut à droite de la crosse qu’il le dénicha, gravé dans l’étain, minuscule.
Le numéro de série.
Identique aux cinq chiffres définitivement imprimés dans son cortex. 9-8-1-0-1.
Le nombre tatoué à l’encre noire sur le crâne du quatrième enfant.
Livide, il fixa Arthur, ne notant pas la moindre réaction sur son visage de rides, puis empoigna fermement le Weatherby.
Le fusil dans une main, la bouteille de Chivas dans l’autre, il se dirigea vers la porte.
— Allons-y, il faut crever l’abcès... répéta-t-il.
25.
— Je
suis bien contente de ne pas être allée à l’enterrement, tout compte fait. La
grand-mère Marmelade, je la détestais... Elle m’a toujours dit que j’étais
une... bâtarde. Que ma mère avait été... mise enceinte avec un autre homme que
mon père. C’était une méchante femme. Elle a dû mourir seule, comme un
Emma se parlait à elle-même, assise en tailleur devant la cheminée. Parfois ses doigts effleuraient sa bouche, comme pour y déposer une cigarette invisible.
Elle tournait le dos à Cathy, qui ne l’écoutait pas. Quelques mots seulement, par-ci, par-là, venaient frapper ses oreilles. Marmelade... enceinte... méchante femme...